La maison de la culture Ibn Rachiq a accueilli, le 18 janvier, à l'initiative du ministère de la Culture, la première journée d'une table ronde internationale sur le printemps arabe aux yeux des écrivains. Ces derniers sont venus d'Egypte (Ibrahim Abdelmajid), de Libye (Mohamed Asfar), d'Algérie (Waciny Laredj) et d'Italie (Francesco Leggio), partager la même table que les Tunisiens Kamel Riahi, Kamel Zaghbani et Samir Sassi, pour débattre de la révolte dans la littérature arabe. Le ministre de la Culture, Mehdi Mabrouk, a souligné que la littérature est la preuve que dans les pays arabes, la démocratie et la liberté sont possibles, sans avoir besoin d'un ministère de la Culture, qui disparaîtra peut-être dans quelques années. Avant de céder la parole à Kamel Zaghbani, choisi comme modérateur de la séance, il a dit espérer voir naître des œuvres à la hauteur de notre citoyenneté et de notre humanité. Enchaînant dans le même sillage, Kamel Zaghbani, écrivain et spécialiste de la philosophie de Gilles Deleuze, a ajouté que la création et la qualité de l'écriture sont, avant tout, ce qui donne à une œuvre son aspect révolutionnaire. La table ronde, quant à elle, pose une question récurrente, celle portant sur le rôle de l'artiste et intellectuel arabe dans les mouvements populaires contre la répression, avant et pendant les révolutions. Ce qui justifie le choix des invités, qui ont érigé leurs plumes contre le système et l'ordre établi, et ont, pour certains, produit des œuvres prémonitoires. Ecrire sur les révolutions, mais écrire quoi? Waciny Laredj, auteur entre autres de «La réponarchie d'Arabia», affirme que l'intérêt de la littérature, même celle de la révolte, est d'abord artistique et non politique. «La littérature n'attend pas qu'on lui permette d'être ou de se révolter, sinon elle devient une réaction et non une cause en soi», explique l'écrivain pour qui il faut chercher à cultiver sa sensibilité et parler des anonymes et des gens ordinaires, porteurs des causes nobles, au lieu de s'exprimer à travers des personnages de héros. Pour ce bilingue, être révolutionnaire, c'est dire ce que ne disent pas les autres. D'où l'importance de la démocratie et de la liberté parce que l'imaginaire et le rêve sont les ennemis des dictatures. Samir Sassi, dont le roman Borj Erroumi a trouvé les chemins des librairies tunisiennes après la levée de la censure, a une autre approche. Il dit écrire pour révéler l'horreur et les secrets des prisons et se demande si la littérature carcérale aura raison d'exister après les révolutions. Ce genre très répandu dans le monde arabe, pour des raisons plus qu'évidentes, a été la bouée de sauvetage pour Samir Sassi et tant d'autres, qui écrivaient en prison pour se libérer et faire face à la torture, et pour que de telles pratiques ne se reproduisent plus. Quant à Kamel Riahi, qui a commencé par rendre hommage à des plumes tunisiennes et à l'union des écrivains libres, pour des œuvres courageuses, comme Deux visages pour un même cadavre de Lazhar Sahraoui et La justice de Fadhila Chebbi, il a voulu prouver que la littérature tunisienne a été celle de la révolte, et que pendant 23 ans, elle a été celle de l'exil à l'intérieur même du pays, à cause de pratiques comme la censure, en faveur d'«une littérature heureuse» qui servait de vitrine au pouvoir. Kamel Riahi a également parlé de l'importance de la sauvegarde de notre mémoire, rôle qui revient à la littérature mais aussi à la lecture de l'Histoire. Un point repris par Francesco Leggio, traducteur et spécialiste dans la littérature arabe, dans son intervention où il a analysé l'œuvre de Kamel Riahi, notamment Al michrat et celle de Waciny Laredj dans leur aspect révolutionnaire, avant d'expliquer pourquoi les dictatures craignent les livres, «parce qu'ils encouragent à la rébellion, c'est la beauté de l'art contre la laideur de l'oppression et c'est ce qui montre au lecteur qu'un monde meilleur est possible».