Une rencontre organisée vendredi dernier à la maison de la culture Ibn Khaldoun par les Editions Karem Chérif et les Editions Ezzïtouna, a eu pour thème la littérature carcérale en Tunisie, et à laquelle ont assisté, outre les auteurs de certaines œuvres littéraires carcérales, un grand nombre de représentants des différents médias tunisiens, ainsi que tous les fans de ce genre de littérature. L'art carcéral, une thérapie L'art carcéral dont notamment la littérature, constitue une sorte de thérapie pour celui qui se trouve confronté à des conditions dégradantes, voire inhumaine qu'il doit subir. Bob Stoner, écrivain d'origine américaine s'est spécialisé dans le théâtre de thérapie carcérale. Il considère à juste titre que « l'art carcéral et la mythologie grecque ont ceci de commun qu'ils expriment certaines des émotions. Cela se justifie avec la littérature carcérale russe depuis Dostoïevski dans « souvenir de la maison des morts » où il décrit le système carcéral des Tsars ou Soljenitsyne dans « le chêne et le veau » et « l'archipel des Goulags ». Il écrit notamment dans la première œuvre qui remonte aux années 1960 : « J'avais affronté leur idéologie, mais marchant contre eux, c'était ma propre tête que je portais sous le bras ». Eux , ce sont tous les tortionnaires et les bourreaux du régime russe à l'époque. A l'instar de ces écrivains il y a eu une littérature carcérale arabe et maghrébine, notamment en Egypte, en Algérie au Maroc et en Tunisie. A Titre d'exemple, et pour ne citer qu'elles, il y a eu, Nawal Assaadani en Egypte, qui a parlé de la condition des femmes en prison, Saida Mnebhi, au Maroc qui succombe en 1978 à une grève de la faim et qui écrit entre autres, en griffonnant sur du papier récupéré parmi les déchets. « je veux rompre ce silence, humaniser ma solitude. Ils m'ont désoeuvrée pour que rouille ma pensée et que gèle mon esprit. » Cris et chuchotements En Tunisie où la répression a sévi dès l'aube de l'indépendance aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali, écrire sur les conditions dans les prisons tunisiennes n'était pas chose aisée. Mais malgré cela, certains détenus tels que Gilbert Naccache ou Ahmed Othmani, ont réussi , par les moyens de bord à écrire et faire paraître des œuvres dans lesquelles ils dénoncent les conditions carcérales plus qu'inhumaines aux prisons de Borj Erroumi, d'Ennadhour ou du 9 avril. Gilbert Naccache a écrit clandestinement depuis sa cellule, en récupérant les paquets vides de cigarettes cristal, qui lui servaient de papier pour écrire. Ces oeuvres constituent des cris de détresse lancés du fin fond de l'obscurité des cellules ou des mitards où ont été jetés ces prisonniers pour subir les pires des exactions. Des cris de ces détenus, au physique affecté et à l'âme meurtrie, mais à la dignité intacte. Ils sont déterminés, quels que soient les obstacles à lutter contre la dictature et l'oppression. Une littérature carcérale entre le vécu et l'imaginaire Après la Révolution un nouveau genre de littérature carcérale est désormais adapté par plusieurs écrivains qui en se basant sur le vécu, laissent libre cours à l'imaginaire. C'est le cas de Khadija Toumi dans son œuvre « Echatat »( l'effritement ), qui partant de l'expérience vécue suite à l'incarcération de son époux, va s'étendre pour parler des conditions carcéraux, dans les prisons dans d'autres pays arabes. Mme Toumi est professeur d'arabe qui a souffert le martyre depuis que son mari, prisonnier politique a subi sous les régimes de Ben Ali toutes sortes d'exactions et de sévices. Elle expliqua comment elle se démenait pour assurer le couffin à son époux à chaque visite. L'incarcération du chef de famille, est souvent cause de sa dislocation. Elle était constamment confrontée à des obstacles l'empêchant de lui rendre visite régulièrement. Ce, outre les conditions du parloir qui laissaient à désirer. A la sortie de son mari de prison elle eut l'idée d'aller travailler, dans un autre pays arabe. Elle a constaté que la répression était la même, voire pire. « Ce qui a attiré mon attention c'est la condition féminine, notamment dans les prisons . J'ai eu alors l'idée de développer mon œuvre sur ce côté, qui a toujours été occulté. Des passages de son œuvre ont été lus, par le professeur Hdhili, avec une voix étranglée par l'émotion, et près d'éclater en sanglots. Borj Erroumi La pièce écrite par Samir Sassi, et dont l'intitulé Borj Erroumi rappelle le nom de cette prison qui a été conçue pour les grands délinquants, mais qui a reçu plusieurs détenus politiques, fait partie de ce genre nouveau de littérature carcérale qui joint le vécu à l'imaginaire. L'auteur qui a lui-même fait partie de ces « délinquants d'opinions » a su à partir de sa propre expérience créée une œuvre artistique. C'est cet art carcéral constituant une thérapie, dont parle Bob Stoner, précité, qui a motivé l'auteur pour la création. Des passages de cette pièce ont été également lus par le professeur Hamadi Bargaoui, devant une assistance émue. C'est en effet avec l'émotion qu'est née la littérature carcérale. Cet imaginaire, permettant à l'artiste de broder, ne peut sortir du cadre de cette réalité amère qui existé dans les prisons tunisiennes durant un demi siècle depuis l'indépendance. Les bourreaux, des mal-aimés ? Les bourreaux qui entrent en scène sont tantôt dénoncés tantôt excusés car ils obéissent à l'ordre de leurs supérieurs. Mais de quelque côté qu'ils se trouvent ils font partie plutôt du clan des méchants. « Ils n'avaient qu'à ne pas choisir ce boulot » lance une femme parmi l'assistance qui a souffert le martyre, lors de l'incarcération de son époux. Et d'ajouter : « Les matons m'ont fait voir des vertes et des pas mûres. Il y a certains qui sont quand même humanistes. Mais il y en a d'autres qui sont même corrompus…. ! » Cette nouvelle littérature carcérale ne fait qu'enrichir la création littéraire et artistique, et l'image de la culture d'une manière générale, de la Tunisie de post révolutionnaire.