Une créativité scénique à la fois sobre et effervescente, c'est à saluer, surtout quand le spectacle est créé par un Isad régional — donc peu connu —, même si la ville du Kef a déjà une histoire théâtrale et aussi une histoire tout court, intégrée savamment dans la pièce Un Croissant et une étoile, qui est amenée à survivre aux JTC, à circuler dans tout le pays, grâce à sa qualité. A l'instar de la pièce iranienne, saluée pour sa dramaturgie, cette création tunisienne utilise toutes les potentialités de la scène — à partir d'astuces pour exploiter pleinement des décors simplissimes et en favorisant les déplacements des corps — pour un pur plaisir de la scène qui fait revenir le goût, la passion du théâtre, qui passe des actants aux spectateurs. Sobriété et inventivité La scène est animée de bout en bout à l'avant (avec la scène principale), à l'arrière-plan avec une toile de fond lumineuse en rouge et noir, avec des croisillons comme une grande fenêtre, mais aussi, entre les deux rivaux, la gestuelle étudiée et préparatoire des acteurs de la scène suivante. C'est enlevé et attrayant. Travail apte à rivaliser avec les célébrités, dont on attendait plus… Pièce de Sami Nasri sur la période des premiers pas du Kef vers la lutte pour l'Indépendance pour des rapports clairement établis avec le printemps tunisien… On salue la richesse, la qualité des offres sensibles : des perceptions auditives avec une bonne diction, des échanges vifs, émouvants ou drôles, et des chants — peu nombreux —évocateurs des évènements, des perceptions visuelles sobres mais justes, avec les couleurs du pays dans les éléments mobiles du décor (estrades et cubes) ; rouge et blanc opposés à un gris métallique (dû aux lumières bien choisies) avec quelques touches de bleu, de marron ; des perceptions olfactives sont permises à partir des effluves d'un kanoun utilisé dans le jeu. Richesse et perception On approche du spectacle total grâce au parti maximal tiré d'éléments simples, des objets basiques, des vêtements soignés, à la fois marqués socialement et symboliques. Les échanges entre acteurs sont variés avec des duos, des trios, quelques effets de foule à partir d'une douzaine de personnages. A souligner qu'il n'y a pas de soliloque fumeux… A côté de la dramaturgie inventive et refondatrice d'un théâtre populaire qui ne sacrifie pas la qualité, l'appel à l'histoire vivante de la région du Kef est alerte (pas de lourdeur didactique). Lien vivant, émotionnel, profond entre le vécu pas toujours connu des spectateurs (de la région d'origine) et l'histoire immédiate, celle de l'année écoulée. La troupe nous offre une façon imagée de saisir des beautés et des grandeurs (héroïques) mais aussi des petitesses (attitudes du peuple, d'un journaliste) en redonnant à chacun valeur et dignité. Tout est conçu, pensé, donc on adhère. Le public d'El Teatro était complice et conquis. Et en prime, quand on va au Teatro, on le plaisir supplémentaire d'une exposition dans un espace engagé à fond dans la culture et la convivialité des échanges avant et après le spectacle. A suivre.