En réaction à l'article de M. Chokri Aslouje paru dans La Presse du 25 janvier (page Opinions) sous le titre «La deuxième République, une nouvelle tour de Babel ? ». M. Aslouje a écrit, dans la deuxième partie de son article, que «l'ex-puissance coloniale a voulu non seulement occuper nos terres, mais aussi conquérir nos esprits avec sa culture, et ce, pour consacrer éternellement notre dépendance». M.Aslouje semble oublier que cet héritage culturel qu'il déplore, c'est celui-là même qui lui permet de s'exprimer ici dans un français, ma foi, assez honorable. Il a donc été nourri, comme de nombreux Tunisiens, d'une double culture qui lui a permis non seulement de maîtriser une langue autre que sa langue maternelle, mais aussi de pouvoir raisonner et argumenter comme il le fait. Qu'aurait-il dit si l'ex-occupant colonial lui avait imposé aussi sa religion ? Il serait tout bonnement chrétien à l'heure actuelle et ne songerait sans doute pas à le contester. Mais l'ex-occupant chrétien n'a pas fait de prosélytisme. Si M.Aslouje est musulman, c'est parce que né dans un pays conquis au VIIe siècle par Okba Ibn Nafaâ et ses compagnons, hardis cavaliers qui ont apporté dans leurs bagages et la langue arabe, et la religion musulmane. Il a donc hérité d'une religion qu'il n'a pas choisie personnellement, mais qui lui a été imposée par les conquérants. Si l'on suit sa logique, il lui faudrait tout aussi bien déplorer cet héritage-là : les Arabes, tout comme les Français, sont venus s'approprier ses terres ! Pourquoi se plaint-il donc de l'héritage culturel français alors qu'il ne songe pas à dénier l'héritage arabo-musulman ? Qui cherche à contester cet héritage-là ? Personne ! Qui le renie? Personne ! Par qui est-il menacé ? Par ceux-là mêmes qui veulent imposer l'Islam comme la seule et unique voie, comme la seule solution à tous les problèmes. Si les racines de M.Aslouje sont arabo-musulmanes, elles sont aussi phéniciennes, romaines et chrétiennes, byzantines, andalouses, ottomanes, etc. En revendiquant les seules musulmanes, il réduit son héritage culturel à la seule période de la conquête arabe, ce qui est un tant soit peu réducteur. Il dit : «Il devrait être possible que nos laïcs comprennent qu'on n'a pas de clergé pour exiger la séparation entre l'Etat et l'Eglise». Il veut sans doute dire qu'il n'y a pas d'autorité religieuse pour trancher sur ces questions ? Mais il n'y a jamais eu de pouvoir religieux en Tunisie, il n'y a donc pas lieu de séparer ce qui l'est déjà ! Et s'il n'y a pas de clergé, qui donne à tous ces imams inspirés l'ordre d'endoctriner les fidèles à grand renfort de haut-parleurs et d'envoyer les salafistes agresser continuellement les défenseurs des libertés ? Il y a, de toute évidence, des mots d'ordre qui sont donnés, car vouloir à ce point islamiser la société émane d'une volonté dictée par des fanatiques dont l'objectif est clairement d'instaurer une dictature religieuse où il n'y aura de salut que pour les dévots ou les tartuffes. Enfin, M.Aslouje écrit que «les élus devraient offrir aux Tunisiens une Constitution qui soit ancrée dans leur propre histoire plusieurs fois millénaire et qui respecte leur foi et les préceptes de leur religion». La religion de quel millénaire ? Ce n'est pas précisé, mais que l'auteur se rassure, car il est déjà exaucé : en effet, il est écrit dans le préambule de la Constitution de 1959 que la Tunisie est une république, et sa religion l'Islam. Nul n'a l'intention de remettre en cause ce principe, certainement pas les élus d'Ennadha. Que M.Aslouje ne s'inquiète donc pas : personne ne touchera à l'Islam, à condition que celui-ci reste à la place qui lui est dévolue, c'est-à-dire au fond du cœur de chacun, là où la foi en Dieu peut s'exprimer et s'épanouir en toute liberté sans s'imposer aux autres.