Par le Pr Khalifa CHATTER "Il ne devrait y avoir aucun doute : si la maison commune est en difficulté, nous devons sauver les murs car nous sommes aussi dans cette maison commune... Nous devons trouver un équilibre et ne pas demander l'impossible à la Grèce" (déclaration de Franco Frattini, le chef de la diplomatie italienne à Luxembourg, 26 avril 2010). La crise financière grecque a mis à l'épreuve le processus communautaire de l'Union européenne. La révélation de déficits grecs plus importants que prévu fin 2009 a, en effet, plongé le pays dans une crise sans précédent et suscité l'inquiétude de ses partenaires. La zone euro risquait bel et bien d'être ébranlée. Récession et risque d'instabilité, le soutien de l'Union européenne devenait, dans ce contexte, une priorité. Etranglé par les taux d'intérêt toujours plus élevés exigés par des investisseurs réticents à prêter de l'argent à un pays qu'ils estiment proche de la cessation de paiement, le Premier ministre grec, Georges Papandréou, s'est résolu à demander l'activation du plan d'aide européen qui permettrait de couvrir l'ensemble des besoins de financement de son pays pour 2010 et éventuellement jusqu'en 2013. Athènes a besoin d'emprunter 10 milliards d'euros avant le 19 mai. L'accueil mitigé des pays de l'Union européenne et les réticences de l'Allemagne mirent à rude épreuve la solidarité communautaire. Angela Merkel a même prôné, le 17 mars, l'expulsion pure et simple de la Grèce de la zone euro. Décision de compromis, les ministres des Finances ont défini, le 11 avril, leur plan d'intervention‑— pour 2010, 30 milliards prêtés par les quinze partenaires d'Athènes sur trois ans à un taux proche de 5% auxquels s'ajouteront 15 milliards provenant du FMI. Peu enthousiaste, la Chancelière allemande rappela ses réserves, affirmant que la «pose d'un extincteur n'implique pas que l'on aura à s'en servir». S'exprimant devant la presse, le 26 avril, elle mit des conditions à ce soutien. Elle demanda à la Grèce de prendre de nouvelles mesures d'économies et de montrer qu'elle pouvait renouer avec une croissance durable avant que Berlin n'approuve une aide d'urgence. "Nous avons besoin d'une évolution positive en Grèce avec de nouvelles mesures d'économies, a déclaré Angela Merkel aux journalistes. L'Allemagne aidera si les conditions appropriées sont réunies. Cela prendra quelques jours de plus. L'Allemagne ressent une obligation énorme envers la stabilité de l'euro". Fussent-elles inscrites dans le contexte électoral allemand et la volonté de ménager une opinion publique hostile, les déclarations allemandes mettent à rude épreuve la solidarité communautaire et desservent la Grèce auprès des marchés internationaux. "Les options allemandes ont joué un rôle d'accélérateur et d'amplificateur", déclara Kostas Vergopoulos, professeur d'économie à l'université Paris-VIII (Libération 24/04/2010). Cette intransigeance a été critiquée par de nombreux Européens. Le chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini, n'a pas hésité à dénoncer, le 26 avril, au Luxembourg, "la rigidité allemande". Fait significatif, des analystes avertis ont montré que la crise grecque est un effet éloquent de l'état de l'Union européenne, de son processus d'intégration et de ses mécanismes de décision. "Sans dysfonctionnement de l'UE, il n'y aurait pas eu d'affaire grecque", déclara l'économiste Jean-Paul Fitoussi qui regrette que l'Europe ait laissé la main aux marchés (interview in Libération 27 avril 2010). Rejoignant ce diagnostic, Kostas Vergopoulos critique le plan de redressement envisagé : "Le plan, dit-il, tient de la demi-solidarité ou de la demi-exploitation. On peut aussi s'inquiéter de voir la Grèce placée sous tutelle. Ce plan entraîne une érosion de la souveraineté nationale puisqu'il est conditionné à un droit de regard dans l'élaboration du budget". Kostas Vergopoulos fait valoir le risque d'instabilité qu'il peut provoquer puisque "des licenciements massifs sans précédent s'annoncent" (Libération, 24/04/2010). Il évoque les effets désastreux sur les plus démunis, outre l'humiliation qui affecte la population grecque. "Plutôt qu'une politique restrictive, il faudrait initier une vraie politique de relance…". Le même cas peut se reproduire dans certains pays d'Europe du Sud ou de l'Est, vu le décalage économique entre les aires et la suprématie effective de l'Allemagne et dans une certaine mesure de la France. Ne faisant pas partie de la zone euro, le Royaume-Uni a une position spéciale, lui permettant de ne pas subir directement les effets monétaires de la conjoncture de risques de certains pays. Fût-elle récurrente, la crise politique belge, qui traduit l'échec du dialogue communautaire, constitue une épreuve dont les effets sur l'Union européenne ne peuvent être ignorés. La divergence entre la conception flamande (néerlandaise) et la conception wallonne (francophone) en matière de fédéralisation et le conflit linguistique qui la concrétise risquent d'annoncer une scission autonomiste, vu les discours de surenchère des protagonistes. Mouvements d'humeur, états d'âme ou divergence fondamentale, rien ne permet de préjuger l'avenir. Fait certain, cette crise est suivie avec inquiétude par les partenaires européens puisque la Belgique est l'hôte des trois institutions de l'Union européenne qui forment le triangle institutionnel essentiel à son fonctionnement. Bruxelles est le siège de la Commission. En partage avec le Luxembourg, elle héberge également le siège du Conseil des ministres de l'Union européenne. D'autre part, les réunions des commissions du Parlement européen se tiennent à Bruxelles, tandis que la plupart des séances plénières se déroulent à Strasbourg, en France. N'oublions par ailleurs pas que Bruxelles est le siège de l'Otan, dont les rapports avec l'Union européenne sont évidents. K.C.