Depuis que les langues se sont déliées, la création artistique s'est épanouie : tout est possible, on peut rire de tout, aborder des sujets qui sont restés durant longtemps tabous. L'art, en l'occurrence ici le théâtre, s'offre comme espace prêt à accueillir toutes les propositions. Et c'est à El Teatro que l'on renoue avec un rendez-vous qui, depuis 2004, provoque des rencontres par la programmation des premières œuvres, créant ainsi une chaîne entre la scène professionnelle et ceux qui y font leurs premiers pas. Le couffin et la gamelle, présentée en ouverture de cette rencontre du jeune théâtre tunisien, témoigne que, par ces temps durs et arides de la création, la poésie et la créativité sont possibles et que le thème de l'enfermement et du monde carcéral est, certes, porteur d'un discours militant, mais également de beaucoup d'humour et de fraîcheur. Ce travail est la rencontre de deux univers : celui de Fethi Belhaj Yahia auteur du livre autobiographique El hay yrawah sur l'emprisonnement et la torture et celui d'un jeune amateur de théâtre qui fait ses premiers pas de metteur en scène à El Teatro studio. Du récit raconté par Belhadj Yahia, militant qui appartient à la génération des premières grandes dissidences dans la Tunisie de Bourguiba (cela lui a valu plus de cinq ans d'incarcération dans les geôles du Combattant Suprême), Mohamed Saber Oueslati (le metteur en scène) prend l'essentiel. L'expérience personnelle de l'auteur en est une source d'inspiration pour un jeune d'une génération différente, qui a vécu une autre réalité et qui, parfois, a dû croiser ces hommes et ces femmes désabusés, amers ou simplement «muets», qui a longtemps fait semblant d'avoir tourné la page. Saber Oueslati reprend ces fragments d'une histoire de la gauche tunisienne, en nous les présentant sous forme de tableaux, de situations éparses, de bribes de mémoire, de sons, de sensations et de douleur. Des centaines de lettres écrites à ceux qui sont restés enfermés à l'extérieur et qui vivent au rythme de ceux qui sont à l'intérieur. Le couffin, les files d'attente, le son métallique des gamelles et des chaînes, ces portes en fer qui se ferment, les pas impersonnels des geôliers...tout cela forme l'univers de la pièce. Le metteur en scène pioche dans ces références-là et dépeint, à sa manière, la question de l'enfermement. Mais au-delà de cette problématique, on retrouve plus d'un point de fuite. Des ponts se dressent entre les différents vécus des années 1970 à nos jours. La Tunisie d'aujourd'hui est présentée à travers des situations cocasses. Le politique et son jeu de rôle sont révélés sous leur vrai jour. La langue de bois qui prend des airs révolutionnaires, les pratiques toujours les mêmes, malgré le changement du contexte, les mains sales qui s'essuient dans le linceul des martyrs. Le travail de Saber Oueslati s'avère ambitieux, mais pas le moins du monde prétentieux. Il assume pleinement son aspect engagé, tout en offrant au public les ingrédients d'un spectacle complet. Les comédiens, dans Le couffin et la gamelle s'investissent non pas en tant que personnages, mais en tant que «véhicules» d'idées qui nous envoient des images qui nous sont proches et que nous nous entêtons à ne pas voir. Ils font de leurs corps un support d'imagerie et offrent leur énergie pour donner un sens autre au texte. Le couffin et la gamelle de Saber Oueslati s'est avérée, en fin de compte, la plus belle surprise des avant-premières avec un style particulier et une bonne maîtrise du projet. Sans écarts et sans abus, ce à quoi nous avons eu droit fut un joli dosage d'esthétisme, d'humour et de poésie.