Pour sa première création théâtrale, le metteur en scène Mohamed Saber Oueslati a choisi d'écrire sur les prisonniers politiques et d'intituler sa pièce Le couffin et la gamelle. Son approche n'en reste pas moins originale. Pour lui, le milieu carcéral n'est pas seulement murs, geôles, menottes et sévices. Il va au-delà du simple principe de la privation, de l'humiliation et du châtiment individuel pour transposer cette réalité à une échelle grandeur nature, les murs représentent l'enfermement des nations et où les détenus ne sont autres que les citoyens, soit les peuples. Ce fut une restitution théâtrale de ces deux réalités amères que la Tunisie connaît assez bien. Notre pays qui connaît depuis le 14 janvier une catharsis dans laquelle on peut facilement inscrire la libération du ton des œuvres artistiques, aborde une movida culturelle dont le résultat reste éparpillé et ne parvient pas à marquer le quotidien des Tunisiens. Le couffin et la gamelle, c'est une heure et quinze minutes de scène où performance corporelle, dialogues, lumière et son dessinent, avec différentes palettes, la souffrance de l'homme privé de sa liberté, que ce soit à l'échelle de l'individu ou du pays. C'est une succession de tableaux où les personnages changent de masque selon la situation, passent d'une cellule de prison à un meeting du parti. Les prisons intérieures et extérieures restent les mêmes, bien que le prisonnier d'opinion, l'opposition de décor et les alliés de la dictature n'y sont pas traités sur un pied d'égalité. Force serait de reconnaître que certaines situations sont plus réussies que d'autres, où le texte est plus marquant, imprégné d'humour ou d'amertume. La mue des personnages, quant à elle, est toujours réussie. Ils sont sept en tout, interprétés par Akram Lassoued, Oumaima Bahri, Mahdi El Kamel, Yassine Douira, Ammar Letifi, Asma Oueslati et Mohamed Saber Oueslati. Une équipe de jeunes comédiens prometteurs et dynamiques, qui sont tantôt dans la peau de la victime, tantôt dans celle du bourreau. L'action se passe à l'intérieur des postes de police, dans les cellules, dans les maisons, dans la rue. C'est dire qu'aucun endroit ne peut nier avoir été témoin d'une offense à la liberté d'expression, à la liberté tout court. Distribuer les circulaires, avoir un avis différent ou opposé, revendiquer la dignité sont des actes criminels aux yeux d'un système qui use du même langage sous diverses formes. Un tel système génère des rapports sociaux corrompus, régis par la délation, l'abus du pouvoir et l'hypocrisie. Des phénomènes sociopolitiques clairement critiqués à travers l'écriture et la mise en scène de Le couffin et la gamelle. Entre deux tableaux, le public a droit à un discours politique dont la teinte change à chaque fois. L'enjeu est de tourner en dérision et le fait politique et l'homme politique. Le discours est adressé à la société, à laquelle l'auteur tend un miroir, comme pour dire «on a le régime que l'on mérite», et pour dire que les choses sont tellement imbriquées qu'il faudra du temps et des efforts pour que les murs tombent, dans les esprits avant tout.