Par Nejib Ouerghi En plus des intempéries, particulièrement éprouvantes qui ont balayé les régions ouest du pays, l'actualité politique nationale a été dominée au cours de la semaine écoulée par la visite et la tournée controversées du prédicateur, rendu tristement célèbre par certaines chaînes satellitaires arabes, Wajdi Ghenim, et également, par les déclarations du ministre de l'Intérieur à propos de l'affaires des terroristes de Bir Ali Ben Khelifa (gouvernorat de Sfax) . Deux événements qui ont un seul point de convergence: la résurgence inquiétante de l'extrémisme aux couleurs salafistes et de son pendant : l'incitation à la violence et au changement du pouvoir par la force. Le prédicateur, en mal de repères, tel un éclaireur venu combattre l'apostasie et les mécréants, s'est trompé assurément de pays et d'époque. Les thèses qu'il défend ardemment révèlent au grand jour le rigorisme dont il est prisonnier, la vision manichéenne des relations sociales qui l'habite et son ignorance totale de la Tunisie. Un pays qui a enfanté d'éminents savants, la doctrine malékite, où fut construit la Zeitouna et s'est propagé un islam qui a toujours prôné la modération et le juste milieu . Cette terre, où l'Islam est profondément ancré depuis plus de 13 siècles, a constamment tourné le dos aux courants extrémistes qui ont de tout temps essayé de répandre la haine, la violence et cherché à interdire toute forme d'expression libre et démocratique. Sa tournée en Tunisie a surpris et, surtout, soulevé de nombreux questionnements. Quelles causes peuvent servir les prêches enflammés que Ghenim a animés, du nord au sud du pays ? Le discours salafiste qu'il a développé dans des espaces publics et des lieux de culte n'est-il pas un facteur de discorde, de division et même d'incitation au déchirement entre les différentes composantes de la société tunisienne? Quel idéal prêche-t-il , certainement pas la cité idéale ou parfaite? Notre visiteur est bien loin de cette quête (platonicienne) qui a pour but de donner le jour à une société qui fonctionne comme une unité harmonieuse, où les éléments coexistent comme les essences idéales «bien rangées, gardant toujours le même rapport, sans se faire mutuellement aucun tort, disposées par ordre et suivant la raison». Que propose Ghenim pour la femme tunisienne, émancipée et épanouie, si ce n'est une chirurgie plastique qu'elle ne reconnaît pas et n'a jamais cherchée: l'excision! Ce prédicateur du wahhabisme croyait à tort venir répandre la bonne parole pour montrer le bon chemin aux Tunisiens égarés. Sa méthode, c'est le salafisme, chemin idéal, martèle-t-il, pour la piété et un palliatif recommandé contre les dangers de la démocratie, de l'ouverture , de la modernité, de la rationalité... Dès lors, la réprobation de la société civile du discours de ce prédicateur et son indignation de son instrumentalisation des lieux publics et de culte à des desseins politiques inavoués, trouvent leur justification dans sa tentative de faire de la question de l'identité un cheval de bataille, et remettre en question les principes républicains et les acquis politiques et sociaux de la Tunisie. A un moment où des questions se posent avec acuité comme le renforcement du processus de transition de la Tunisie vers la démocratie, l'élaboration d'une Constitution qui rassemble tous les Tunisiens autour d'un projet de société consensuel, la remise sur pied du pays dont la vie civile a été constamment étouffée, le redressement d'une économie fragile et la réponse à des demandes sociales insistantes et urgentes, Ghenim nous propose sa solution finale : faire de la Tunisie un émirat islamique. Par le glaive ou la kalachnikov ! Peut importe le prix que payera le peuple tunisien, la fin ne justifie-t-elle pas les moyens ? Les auteurs de l'affaire des djihadistes salafistes de Bir Ali Ben Khelifa, dont le ministre de l'Intérieur vient de révéler les tenants et les aboutissants, à l'opinion publique nationale, ne défendent ils pas les mêmes idéaux ? Ne prônent-ils pas la violence, la haine et l'extrémisme comme solution finale pour les Tunisiens? Une méthode d'action qu'ils veulent appliquer à l'encontre de ceux qui ne partagent ni leur vision ni leur perception du fait religieux. Dans le cas du prédicateur Ghenim, comme pour l'affaire de Bir Ali Ben khelifa, le réveil a été douloureux pour les Tunisiens qui ne se doutaient pas que le loup était bel est bien dans la bergerie. Le danger de l'extrémisme religieux ou autres et la présence de groupes armés qui se réclament d'Al Qaïda sur notre territoire nous ont laissés un moment pantois et inquiets, nous donnant froid dans le dos. La révolution tunisienne, qui est à l'origine du printemps arabe et de grands espoirs dans le monde, peut-elle enfanter une maladie aussi redoutable, capable de renier nos valeurs républicaines et sociales et de plonger le pays dans la tourmente ? La responsabilité, toute la responsabilité, du gouvernement provisoire, sera de combattre ce danger, en imposant à tous la force de la loi. Seul moyen à même de préserver l'ordre social que toute société démocratique peut avoir de plus précieux.