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Ce que « jeunesse » veut dire en temps de révolution
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 29 - 02 - 2012


Par Salah HADJI
• «… J'en appelle ici à l'esprit de la jeunesse car elle est le beau moment de la vie qui n'est pas encore prise dans le système des buts bornés de la nécessité…» (Hegel, La science de la logique)
• «… Mais le livre où j'épancherais alors la défiance et la fougue de ma jeunesse — un livre impossible — devait naître d'une tâche aussi antijuvénile !» (Nietzsche, Essai d'autocritique)
• «La jeunesse n'est qu'un mot» (Bourdieu, Questions de sociologie)
Le triple exergue n'est pas destiné à rassembler l'attention sur une question supposée constituée et évidente, il est avancé pour bousculer une structure d'histoire millénaire et faire trembler un habitus de pensée.
Pour aborder la question, en lieu et temps propres d'une nouvelle rencontre avec l'histoire initiée par la Révolution tunisienne, rappelons une thèse analogue bien connue : Ph. Ariès soutenait dans L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime qu'il n'y avait pas toujours eu d'enfance, mais qu'elle avait été inventée à un moment précis dans le processus historique. En pastichant cet auteur, ne pourrait-on pas avancer la thèse que la notion de «jeunesse» n'a pu s'imposer dans notre pays et dans le monde arabe que depuis janvier 2011, à la faveur de la Révolution tunisienne ?
Par-delà les apparences fugitives et l'usage massif qui les a accompagnés, le remarquable c'est le peu d'élaboration et d'interrogation théoriques qu'a instituées cette question. Telle qu'elle a été reprise par les discours politiques et diffusée par les médias, la notion semble ne contenir que des généralités qui se succèdent et s'éliminent rapidement. Faute de faire fond sur un quelconque apport théorique, les discours à ce sujet ne peuvent ainsi que tourner court.
Reconnaissons toutefois que l'apport théorique à ce sujet reste pour l'essentiel en suspens, à la différence d'avec la notion d'«enfance» qui a, quant à elle, bénéficié de l'apport de la psychologie génétique (début du XXe siècle), initiée depuis le XVIIIe siècle par l'Emile de Rousseau et mise à profit en pédagogie dans la périodisation des acquisitions du savoir au niveau de l'école de base. Le premier à avoir abordé la notion de «jeunesse» sur le terrain des sciences humaines, précisément en sociologie, est, à notre connaissance, P. Bourdieu. L'analyse qu'il en fait substitue aux divisions longitudinales et univoques à dominante biologique entre les âges la très grande complexité des rapports transversaux entre «l'âge social» et «l'âge biologique». Pour rendre compte de cette complexité, Bourdieu place son analyse dans le cadre de la théorie des «champs» qui favorise les idées de différenciation interne, d'enjeux de lutte et de passages ouverts à celles d'homogénéité, d'ordre et de continuité univoque. Remarquons que la notion de «champ» est, de toute évidence, empruntée à E. Kant dans sa troisième Critique, où la «réflexion» devient ouverte à une pluralité d'expériences possibles. A la place du clos, nous avons affaire à une vision qui prend ses repères dans le virtuel et inscrit l'existence dans des liens toujours ouverts et renouvelables. Cette vision qui bouscule les repères immédiats et bornés ne peut qu'être dynamique.
Plutôt que de parler des jeunes en termes d'unité constituée selon l'âge et dotée d'intérêts homogènes, le point de vue du sociologue met en avant les différences qui traversent les conditions d'existence, le marché du travail, les contraintes économiques exercées sur les uns et les facilités dont bénéficient les autres. A quoi il faudrait ajouter la différence qui peut toujours s'exprimer et prendre une forme politique entre une «position de classe» à caractère intellectuel et une «situation de classe» de nature économique : celle-là pouvant bousculer celle-ci (Lénine). Ce qu'il s'agit de décrypter dans pareils cas, c'est le brouillage idéologique qui induit le plus souvent à subsumer sous le même concept des univers sociaux et des choix intellectuels et politiques qui n'ont rien de commun.
A considérer les multiples manifestations de masse qui ont accompagné la révolution et auxquelles ont participé les différentes franges d'âge (statut de la femme, libertés individuelles et publiques, dignité et droit au travail…), on se rend bien compte que la réflexion sur la notion de jeunesse devient de plus en plus complexe. Elle remet déjà en question la constitution d'unités générationnelles fermées sur elles-mêmes selon les formes d'habitus traditionnelles. Il y a une détraditionnalisation de l'appartenance à l'espace social et une libération des attitudes qui en découlaient dans le passé, et ce, au profit d'une nouvelle communauté d'expériences vécues sur fond d'événements historiques clés.
En ce nouveau lieu et temps de notre histoire, la notion de jeunesse ne peut que développer des intensités et des expressions inédites, et rencontrer des tâches collectives nouvelles historiquement datées. Il devient ainsi possible de vaincre doutes, crispations, isolement et cloisonnements formels pour aller vers les nouveaux horizons désormais disponibles. Ce qui est entendu par là, c'est la mise en œuvre du meilleur de soi de tout un chacun sur «les chemins de la liberté» et de la dignité de tout un peuple.
Alors que nous nous mouvons désormais dans un présent qui prend les proportions d'une histoire inaugurale, il importe de souligner comment une révolution peut instaurer de nouveaux liens du vivre-ensemble, de nouveaux modes de rencontre et de rapports en mesure d'ériger ce nouveau présent en axe majeur d'une durée sociale et historique de type nouveau.
Avec la révolution, est en train de s'opérer, en effet, une mutation capitale dans la configuration générationnelle, qui autorise de désigner par un seul et même mot des franges d'âge dont l'amplitude va de 18 à 45 ans pour s'élargir et englober des personnes qui, au top de l'âge, ont été et sont encore d'un apport on ne peut plus créatif en cette période de transition.
Mais en regardant d'autres faits à l'intérieur du même paysage, nous voyons aussi s'exprimer de manière contradictoire des hordes et des bandes d'incultes et de nihilistes, des sectes d'illuminés aux croyances carrées, contrastant avec d'autres acteurs sociaux à l'esprit ouvert et au cœur généreux. C'est dire que la rencontre avec la révolution sépare autant qu'elle réunit, délie les liens autant qu'elle les resserre à l'intérieur d'une seule et même frange d'âge. La notion de jeunesse ne dit-elle pas cette forme de contradiction où les négativités du passé voisinent avec le renouveau ?
Par-delà cette contradiction, tout à fait normale dans l'histoire des mouvements sociaux et politiques, il est heureux de constater que la société tend de plus en plus à fonctionner à l'intérieur d'une nouvelle puissance régulatrice qui renoue avec les moments forts de l'histoire nationale et universelle : mouvement de libération, luttes sociales et politiques, grandes figures de la pensée moderniste connues dans le pays et dans l'espace universel. Des noms tels que Kheireddine, Chebbi, Haddad, F. Ben Achour, Bourguiba (avant son crépuscule), Platon, Aristote, Descartes, Kant, Hegel, Marx…ne sont-ils pas, plus que bien d'autres, nos contemporains pour autant que nos véritables contemporains ne sont pas forcément ceux qui partagent avec nous le temps emprique mais bien plutôt ceux qui nous aident à penser nos problèmes et les résoudre ? (H. Arendt). Les Lumières allemandes avaient déjà montré un pareil tableau ouvert : l'individu éduqué en tant que personnalité se constitue dans le progrès moral au sens raisonnable. Ainsi il est plus que jamais nécessaire d'articuler la notion de jeunesse dans notre pays sur ces reliefs de culture et de pensée qui font que la société ne se maintient dans l'élément de sa puissance que par un fond d'idées et de désirs communs.
De telles références culturelles et intellectuelles, à portée nationale et universelle, ne peuvent que rendre plus riche notre relation avec le passé et l'avenir. Nulle part, en effet, les œuvres des grands classiques ne peuvent être disqualifiées aux yeux de tous ceux qui demeurent ouverts aux apports des lumières au profit du présent et l'à-venir. Ces œuvres sont appréciées et admirées, particulièrement dans les situations de crise qui sollicitent normalement l'apport à la pensée en sa pluri-référentialité. Tel est le sens que prend toujours le progrès des lumières en tant qu'il ne peut aucunement s'accommoder à une quelconque forme d'arcboutement sur les dogmes et le révolu.
Quelle richesse civilisationnelle et de pensée universelle gagnerait les générations présentes si ceux dont les dents demeurent plantées dans un passé étroit se départissaient de leurs crispations réactives pour réaliser que la durée d'une vie réellement et largement assumée est une vie appelée à être porteuse de potentialités créatrices. De ce point de vue, le sens d'une vieillesse entendue étroitement comme trajectoire biologique serait synonyme d'enfoncement et d'étiolement intellectuel. A l'opposé, le sens de la sagesse est ce qui fait voir la vie comme distance maintenue entre le mobile et l'immobile, un «branloire pérenne» (Montaigne) ou encore «un admirable tremblement du temps» (Chateaubriand). Entre-temps, nous vivons, certes, tous «dans des paysages. Des discours. Des tragédies. Des bonheurs. Des doutes. Des complications. Des acharnements. Des fulgurances créatrices et aussi, le moment venu, dans la sécurité de la mort. Ou bien dans la haute, la très haute paix des œuvres» (Salah Stétié, poète et écrivain libanais).
C'est dire que «vieillir», en ayant en perspective l'ouvert performant, voudrait dire rester jeune au vu de l'humain jusqu'à la mort, compter parmi les «jeunes vieux» ou encore parmi les «vieux» toujours «jeunes» en s'armant de culture, d'humanisme et de patriotisme. «La comparaison des quatre saisons avec les quatre âges de la vie est une vénérable niaiserie. La première vingtaine de la vie, pas plus que la deuxième vingtaine, ne correspond à une saison : à moins que l'on se contente de cette métaphore qui compare la couleur blanche des cheveux à celle de la neige, ou d'autres amusements de ce genre» (Nietzsche, Humain trop humain).
Comment ne pas reconnaître aujourd'hui que, contrairement à toute logique de morcellement de la vie sociale, intellectuelle et politique, jeunes enfants, adolescents, jeunes adultes, adultes entre deux âgés, jeunes âges et jeunes vieux se retrouvent structurellement en face de tâches à bien des égards communes, instruction, formation continue, culture, droit au travail, aspiration à la liberté et la dignité, participation active à la vie politique… Autant de tâches qui demandent pour leur accomplissement la mise en œuvre de leurs ressources et compétences respectives. Il est donc bien clair que la Révolution dite de «la jeunesse» ne renvoie aucunement à un quelconque «conflit de générations» ou à la révolte individuelle dite «révolution des jeunes contre l'autorité ou le père», mais bien plutôt une seule tâche et cent mille styles pour l'assumer, «un seul sens et d'innombrables hiéroglyphes pour l'exprimer» (Nietzsche, Considérations inactuelles, III). Telle est la symbolique de la richesse inépuisable à laquelle nous convie la révolution.
Comment ne pas élever haut ici, à titre de reconnaissance et de respect patriotiques — nonobstant la différence de parcours politique — l'exemple éminemment éloquent de M. Béji Caïd Essebsi, chez qui s'est affirmé spontanément en temps de révolution le devoir de compter activement parmi les jeunes, en aidant comme il l'a fait jusqu'à présent à inventer les issues démocratiques tout au long de cette période de transition considérée des plus critiques. C'est dire pour le moins combien le concept de génération est singulièrement mouvant en période de révolution.
S'il est vrai que la révolution implique une rupture audacieuse avec tout un passé marqué par le fixisme, le despotisme et la volonté de négation de l'autre, elle impose concurremment que cette rupture soit démocratique et largement collective, et qu'elle puisse s'exprimer comme telle. Il y a lieu toutefois d'observer, ici, une certaine ligne de démarcation qui s'impose de fait entre deux genres d'attitude : plutôt que de départager des générations appartenant dans un pays à une même et longue histoire, cette ligne oppose toutefois, d'un côté, un dogmatisme fait de ressentiment d'autant plus «malade» que ses adeptes se révèlent assoiffés de pouvoir et, par ailleurs, combien mercantilistes pour être des «mangeurs» d'hommes et de consciences, et, d'un autre côté, un humanisme nourri de culture, ouvert au progrès et soucieux de la dignité de l'esprit humain comme liberté et créativité, tout en étant chevillé aux tâches qui s'imposent au pays.
Aussi faut-il rappeler à l'adresse d'un certain «vieilli» qui se pare du titre de «cheikh» qu'entre ces deux genres de figures qui départagent la révolution aux points de vue intellectuel, éthique et politique, la distance est incommensurable et ne peut guère être occultée par les discours à mille pattes distribués tous azimuts à la manière d'une fée sortie d'«outre-tombe» et dont la dernière effigie vient à peine de se présenter «Made O.Ghenim».
Par-delà cet aparté, il faut bien nous rendre au sens de la nouvelle réalité : ce que la révolution a d'abord rendu possible, c'est l'expression des idées, le débat démocratique, le droit à la parole publique, la liberté d'expression dans les domaines de l'art, de la pensée et de la politique. Si cela se consolide, il s'agira bel et bien de l'un de nos biens les plus précieux.
En exerçant et en défendant ce bien majeur dans la plus large unité des forces sociales, politiques et culturelles démocratiques appelées, tous âges confondus, à affronter les tâches nationales de nature économique, sociale, éducationnelle et culturelle, on aura déjà répondu en grande partie à la question : ce que «jeunesse» veut dire en temps de révolution.


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