Par Nejib OUERGHI D'une semaine à l'autre, l'évolution de l'actualité et le traitement administré aux crises qui surgissent aux plans politique, économique ou social deviennent une véritable source d'inquiétude faisant épaissir, de plus en plus, le flou qui entoure l'avenir du pays et sa transition vers la démocratie. Ils révèlent, de surcroît, une indécision et une certaine frilosité à solutionner des questions, au demeurant complexes, d'une manière sereine et une difficulté à trouver des pistes qui permettront au pays de sortir du cercle vicieux dans lequel il ne cesse de se débattre à chaque prise de bec sur un sujet qui fâche, ce qui ne fait qu'accentuer davantage les dissensions et altérer le climat de confiance dans le pays. En l'espace d'une semaine, trois dossiers ont polarisé l'attention constituant une source de discorde et de polémique qu'on aurait pu s'épargner, si les forces politiques agissantes et les organisations de la société civile avaient convergé en priorité vers les intérêts de la Tunisie, ses acquis et les idéaux à l'origine du 14 janvier. La dignité et la liberté. Résultat : la succession de crises ne fait que nous détourner, de jour en jour, des vraies questions qui préoccupent les Tunisiens, et qui étaient les catalyseurs de la révolution. Alors que le chômage ne fait qu'avancer, l'insécurité ne fait que s'étendre et la violence ne cesse de gagner du terrain et les régions connaissent les souffrances propres aux catastrophes naturelles, que de temps et d'énergies gaspillés dans des polémiques stériles. L'arrestation, une semaine durant, du directeur du quotidien Ettounissia, premier procès d'opinion dans le pays après la révolution, la grève déclenchée par les agents municipaux et les évolutions qu'elle a connues et la tension qui a caractérisé les relations gouvernement, partis politiques et Ugtt, ont montré que le chemin de la transition démocratique de la Tunisie est encore parsemé d'embûches. Le climat délétère qui règne et le blocage qui persiste trouvent leur explication dans l'improvisation qui domine et l'amateurisme et le laxisme qui accompagnent la recherche de solutions pour des questions qui ne demandent pas plus, dans la phase délicate que traverse le pays, qu'ouverture, un sens de l'anticipation et une propension à trouver de bons arbitrages et un meilleur consensus. La relation entre le gouvernement de la Troïka et les médias est devenue une source de crispation et de crise permanentes. Chaque épisode ne fait que creuser davantage le fossé de méfiance et de manque de confiance qui sépare les deux parties. Il semble qu'au sein du gouvernement on n'a pas encore pris la mesure d'un postulat selon lequel : «Sans la liberté de blâmer, il n'y a point d'éloge flatteur». Affranchis et libérés, les médias tunisiens, publics ou privés, et en dépit de tous les excès dans lesquels ils ont parfois versé, sont aujourd'hui dans l'impossibilité de faire machine arrière ou d'accepter toute forme de manipulation ou d'instrumentalisation. Tout comportement frileux, toute attaque injustifiée dont les médias peuvent être la cible sur leur façon de traiter l'information ne peut que raviver l'incompréhension et le climat de suspicion avec le pouvoir. Au contraire, accepter le rôle dévolu à ce secteur dans la Tunisie post-révolution, voire tolérer certains excès, ne peuvent qu'enrichir le débat public, éviter les polémiques stériles et contribuer à l'enracinement de la culture démocratique dans le pays dont le principal soubassement n'est autre que la reconnaissance du droit à la différence et à la libre expression. L'affaire du quotidien Ettounissia a été un révélateur de cette tension toujours latente entre médias et gouvernement. Même si l'on peut arguer que la justice est libre, la criminalisation de l'acte de publication de la photo d'une femme presque nue à la une de ce journal est, assurément, une sanction disproportionnée et incompréhensible. N'aurait-il pas mieux valu maintenir le directeur de la publication en liberté jusqu'à la fin de l'instruction que de s'empresser d'appliquer une peine non proportionnelle au crime commis en se référant au code pénal ? La réaction unanime des représentants de la société civile, des organisations professionnelles et des défenseurs des libertés publiques trouve sa justification dans la peur et la crainte de voir le champ des libertés se rétrécir par la tentation du pouvoir politique de museler ce secteur. Une crise qui montre l'urgence, pour toutes les parties concernées, de s'asseoir rapidement autour d'une même table pour que les nouvelles dispositions du code de la presse trouvent, enfin, le chemin de l'application. Dans l'intérêt de tous. Un tel signal fort rétablirait à coup sûr la confiance et permettrait aux professionnels de la presse de poursuivre leur quête de la vérité en toute liberté, indépendance et quiétude. Il en est de même pour le traitement apporté à la crise née à la suite de la grève de quatre jours déclenchée par les agents municipaux prenant, au passage, une grave tournure qui s'est matérialisée par les agressions dont les sièges de l'Ugtt ont été la cible. Il en a résulté qu'entre la centrale syndicale et le mouvement Ennahdha, la discussion fit place à la diatribe, l'argument à l'échange d'accusations et le point Godwin fut vite atteint. La stigmatisation de la presse pour son usage immodéré de la liberté, de la grève en tant que manifestation de colère et du rôle assumé par l'Ugtt ne peut que conduire à des excès, amplifier l'incompréhension et raviver les tensions. Dans le contexte actuel, d'incertitude et de doute, la sagesse commande d'unir toutes les forces et de fédérer toutes les volontés pour parfaire la construction de l'Etat démocratique, redéfinir le modèle de développement qui sied le mieux à la Tunisie, de chercher un consensus qui permettrait de trouver les meilleures réponses à des demandes sociales urgentes, que de verser dans la polémique ou d'alimenter le doute. Ce qui s'est passé il n'y a pas longtemps à Bir Ali Ben Khélifa (Sfax) et les événements tragiques de ces derniers jours à Jendouba nous renseignent bien sur les périls qui guettent la révolution. L'émergence d'un extrémisme salafiste prônant la violence comme mode opératoire remet sérieusement en cause tous les acquis des Tunisiens et risque de plonger le pays dans une spirale de violence sans fin.Un péril qui est bien plus grave que les excès d'une presse encore à la recherche de ses repères ou de mouvements sociaux que la précarité a un peu attisés.