Dans certaines situations, le débat est vain. Son issue est scellée d'avance. On est un peu dans la posture de tel personnage du Roi Lear de Shakespeare qui dit : «Elles veulent me fouetter si je dis vrai ; toi, tu veux me fouetter si je mens. Et parfois je suis fouetté si je garde le silence». Etre journaliste, ici et maintenant en Tunisie, n'est guère loin de cela. Pris entre les feux croisés des ressentiments, des rancœurs et des calculs, les journalistes tunisiens semblent officier comme le bouc émissaire de choix. Pas une semaine sans que les professionnels des médias ne soient pris pour cible. Le lynchage verbal atteint des seuils ahurissants. Cela frise par moments l'appel au meurtre. Le tout sur fond d'assertions malintentionnées, d'allégations mensongères et de quiproquos savamment orchestrés. Bien évidemment, l'enceinte médiatique tunisienne n'est guère au-dessus de tout soupçon. Et elle ne saurait se soustraire à la critique. Seulement, il est admis que tous les secteurs sont en cause sous nos cieux. Focaliser sur les seuls médias devient dès lors une espèce d'exutoire perfide. L'administration, la police, la magistrature, l'avocature, la médecine, les imams, les partis politiques et les organisations de masse sont, eux aussi, logés à l'enseigne des secteurs bons à être réformés. Pourtant, on n'a pas vu des responsables gouvernementaux se relayer pour clouer tel ou tel secteur au pilori ou le livrer en pâture à la vindicte populaire. On n'a guère vu des processions régulières du vendredi brandissant des slogans sinistres tel «la peine capitale aux médias tunisiens». On n'a guère assisté à l'agression physique à l'endroit de tel ou tel membre de tel corps de métier. C'est presqu'une exclusivité à l'endroit des seuls journalistes. Par ailleurs, le secteur médiatique a bien démontré qu'il est en train de se reprendre en mains. Ses organisations spécifiques et appropriées jouent un rôle fondamental dans cette critique. Elles agissent en tant qu'instances d'autorégulation. Seulement, cela ne sied pas à tout le monde. Et il est bien étrange que certaines voix stigmatisent volontiers les médias et les journalistes parce qu'ils ne jouent pas le rôle de courroie de transmission du pouvoir. En d'autres termes, les journalistes et les médias devraient être des caisses de résonance du nouveau gouvernement. Faire des révolutions, c'est salutaire. Confondre les genres et faire jouer le despotisme de la liberté c'est démentiel. Et certaines gens commencent à avoir peur. Ils semblent même terrorisés. Des gens avertis craignent le pire, quelque malencontreux et tragique passage à l'acte. A force de caresser dans le sens du poil de la bête, il y a risque d'enfanter le monstre. En même temps, l'on assiste à une quasi-insouciance de la classe politique sur cette problématique fondamentale. Pis, certains ténors parlent pour jeter de l'huile sur le feu et embraser davantage les esprits. Il en résulte un faisceau de conditionnements qui en rajoute à la confusion. Quelques vieux routiers pensent déjà abandonner. Ce qui est une autre manière de céder au chantage. Mais le propre des hommes, en situation de peur et de périls, c'est d'agir par instinct de survie. L'intelligence est parfois battue en brèche par l'instinct. Et le sommeil de la raison engendre des monstres.