Par Soufiane BEN FARHAT Après que Sigma a parlé, faut-il pour autant désespérer? D'abord, les faits. Le bureau d'études spécialisé Sigma a publié les résultats d'un sondage d'opinions politique réalisé du 28 février au 2 mars 2012. L'étude a porté sur un échantillon représentatif de 1.003 tunisiens résidant dans les 24 gouvernorats du pays. Les résultats sont ahurissants : - 65% des Tunisiens considèrent que la situation générale dans le pays est mauvaise - 28% la considèrent très mauvaise - seulement 1% la considèrent très bonne Concernant la situation sécuritaire : - 53% de Tunisiens considèrent que la situation sécuritaire est mauvaise -22% la considèrent très mauvaise - seulement 5% la considèrent très bonne Concernant la situation économique: - 82% des Tunisiens ne sont pas satisfaits de la situation économique actuelle - 50% ne sont pas satisfaits du tout - seulement 1% sont très insatisfaits. Présentées ainsi, les données dévoilent une situation alarmiste. Qu'il s'agisse de la situation générale, de l'économie ou de la sécurité, le cœur des Tunisiens n'y est pas. Et il s'agit de constats et de bilans plutôt que de préjugés. En fait, il est nécessaire d'être davantage informé sur la méthodologie de l'étude, sa fiabilité, ses marges d'erreur et sa crédibilité dans son ensemble. Malheureusement, sous nos cieux, la chapelle des sondages et des instituts de sondage demeure encore sujette à controverse. Certains instituts de sondage ou organismes autoproclamés comme tels obéissent aux règles du clientélisme et, partant, de la partialité. D'où de sérieuses interrogations sur la véracité de leurs études. Par ailleurs, l'étude de l'état de l'opinion est forcément révélatrice. Dans certains pays, c'est un puissant levier de connaissance du réel. C'est même l'un des préalables de la bonne gouvernance. Même sans de telles études, certains états d'âme collectifs ou individuels sautent aux yeux. Les gens sont saignés à blanc. Crispés et tendus depuis le déclenchement des événements présidant à la Révolution, il y a une année et demie. La spirale révolutionnaire emporte tout dans son sillage. Les sollicitations sont multiples. De nouveaux clivages et de nouvelles tensions ont vu le jour. Il y a beaucoup d'espoir mais aussi nombre de déceptions. Des potentiels de ressentiment et de rancœurs emplissent les cœurs. L'intérêt public est focalisé autour de nouvelles problématiques comme autant d'abcès de fixation. Cela n'entache en rien la grandeur des réalisations accomplies. Dont, bien évidemment, la tenue des élections de l'Assemblée constituante le 23 octobre 2011. Et ce qui s'ensuivit : l'élection, par la Constituante, du président de la République et la mise sur pied d'un gouvernement tripartite. Ce sont bien des considérations économiques et politiques qui expliquent l'atmosphère de sinistrose qui prévaut dans les consciences communes sous nos cieux. En cause, la crise économique, l'amplification du chômage endémique, le renchérissement vertigineux des prix des produits de base et la persistance du climat d'insécurité. Soit un cocktail de faits cumulatifs qui en rajoutent au marasme. Politiquement, de nouveaux clivages profonds secouent l'opinion et la classe politique. Ils suscitent de nouvelles grimaces de la peur. Cela se recoupe avec un certain corpus de haine, d'agressivité et d'animosité qui a investi la place politique. Cela se traduit également par de nouvelles appartenances à de nouvelles tribus et chapelles. Bref, les ingrédients du marasme expliquent les données mises au jour par le sondage d'opinion politique réalisé par Sigma. Faut-il pour autant désespérer ? La question demeure suspendue, telle une profonde angoisse.