Le crime au nom d'Allah est-il devenu une devise admise dans notre société d'après-révolution? Est-il désormais permis à des citoyens de violenter d'autres, de porter atteinte à la dignité de l'Homme et de la femme tunisienne ayant pour seul argument une barbe touffue? La Tunisie post-révolutionnaire se fonderait-elle sur la non-loi ou pire, celle de la jungle? Certains responsables nieront forcément ce profil de la Tunisie nouvelle. Ils dénonceront ces interrogations, les jugeant trop obscures et pessimistes. Mais la réalité, elle, n'est point rassurante. Qui aurait dit que la dignité de la jeune fille tunisienne serait un jour altérée au vu et au su des hommes et des femmes? Qui aurait cru un jour que le pays qui a enfanté Tahar Haddad, le leader de la cause féminine dans le monde arabe, serait la scène de l'offense à la pudeur? Pourtant, le sacrilège est bien palpable. Mlle Amal Attaya est l'une des victimes du courant salafiste. Rencontrée lors du groupement général des associations, organisé samedi par l'Ugtt à l'occasion de la célébration de la Fête internationale de la femme, cette jeune Tunisienne âgée de 25 printemps, et militante syndicaliste à l'Uget et à l'Ugct, avait du mal à avancer, lacérée par des douleurs physiques et autres morales. Cette fille a fait partie des jeunes qui ont été agressés récemment dans l'enceinte du campus de La Manouba. Interview. Que s'est-il passé exactement à la faculté de La Manouba? Nous sommes un groupe d'étudiants actifs dans l'Uget et dans l'Ugct. Nous avons programmé de nous rendre au seuil du ministère de l'Enseignement supérieur afin de manifester pour l'amélioration des conditions estudiantines, notamment la qualité de la nourriture dans les restaurants universitaires, le droit à l'hébergement au foyer universitaire, le droit à une bourse... Nous avons, donc, fixé notre point de départ à la faculté de La Manouba. Là, on a décelé une pression anormale. Un groupe de salafistes nous a encerclés et nous a interpellés avec hostilité. Puis, nous avons été désagréablement surpris par cinq staffs de barbus nous barrant la sortie. Ils étaient fort nombreux, à peu près les 700 personnes. L'un d'entre eux a profané l'étendard national, le substituant par celui salafiste. Malgré leur nombre et leur férocité, nous n'avons pas lâché prise. Khaoula Rachidi a sauvé le drapeau, ne se souciant ni de leurs coups ni de leur haine. Nous avons fait de notre mieux pour protéger le drapeau national et pour lutter contre leur agressivité. Les salafistes criaient «Allahou akbar» et nous traitaient de «koffar» (athées). C'était chaotique». Que voulaient-ils au juste? Ils voulaient qu'on dénonce Ayoub Amara, un camarade syndicaliste qui a participé aux manifestations de La Kasbah. Mais leur requête était malsaine. Ils nous terrorisaient verbalement et physiquement. Ils demandaient aux hommes sur un ton menaçant s'ils ont bel et bien effectué les prières d'Essobh avant de venir à la fac, pourquoi ils ne portent pas le Kamis et le voile... Ils les violentaient. Puis ça a complètement dégénéré. Des coups tous azimuts, une violence d'une férocité et d'une haine sans précédent. Terrorisés, certains d'entre nous ont fui vers l'établissement de l'Ipsi. Ils ne les ont pas épargnés... Tu as du mal à marcher, Amal... Oui. Les gens pensent que j'ai mal à la jambe, mais c'est encore plus compliqué et plus délicat. En fait, deux salafistes m'ont mise à terre, écarté les jambes et se sont acharné sur moi à coups de pied. L'un d'entre eux s'est même emparé d'un couteau pour tenter de m'éventrer. Fort heureusement, mes camarades sont intervenus pour l'en empêcher. Résultat: une hémorragie qui commence à peine à s'estomper et une déchirure au vagin. As-tu, un jour, pu t'imaginer de pareilles pratiques dans une faculté tunisienne? Non, mais désormais, je m'attends à tout.. Les autorités sont plus que jamais appelées à intervenir pour mettre un terme à ces pratiques, sinon on risque de crever.