Par Jawhar CHATTY Y a-t-il à ce point péril en la demeure pour que le gouvernement soit amené à démettre, le même jour, de leurs fonctions le directeur général de l'Institut national de la statistique et le président du Conseil national de la statistique ? Le système national statistique serait-il à ce point bancal pour justifier une telle décision prise du reste sans aucune autre explication, et, paraît-il, d'une manière peu conforme aux règles et usages de l'administration tunisienne ? Et si certains pourraient être tentés de voir dans ce double limogeage une certaine frilosité du gouvernement, pourrait-on leur en vouloir d'être, dans ce cas, allés un peu trop vite en besogne ? Quoi qu'il en soit, un peu de tact et une dextérité dans l'exercice du pouvoir appellent à un peu plus de discernement et de lucidité dans la prise de décision. Rien que pour prévenir les lectures «hâtives» que ne manquera tout naturellement pas de susciter ce genre de décision. Ecarter, le même jour, les premiers responsables en somme de la même institution ne peut qu'alimenter la polémique d'ores et déjà naissante, nourrir la confusion dans les esprits et les questionnements quant au bien-fondé des décisions du gouvernement et, par extenso, jusqu'à la fiabilité et la pertinence de son action. Bref, le gouvernement avait toute la latitude de s'épargner l'effet boule de neige de décisions potentiellement sujettes à interprétation, à diverses supputations et à récupération politicienne. Bien sûr et jusqu'à preuve du contraire, on est supposé soutenir que si le gouvernement a pris cette double décision, c'est qu'il a tout naturellement des raisons sérieuses de le faire. S'agissant du système national de la statistique, ces raisons ne peuvent, en principe, qu'être en rapport avec la crédibilité, l'objectivité et l'efficience des premières structures chargées de la production, de l'analyse et de la diffusion des données statistiques. Toute autre raison relèverait non plus du champ du dysfonctionnement de l'activité statistique nationale mais de domaines qui dépassent le strict cadre du présent papier. Disons simplement que le système national de la statistique a, en principe, été l'un des tout premiers bénéficiaires directs d'un soulèvement face à l'opacité et d'une révolution foncièrement porteuse de transparence. Sans cette transparence, qui a pour corollaire un certain degré d'indépendance des structures statistiques par rapport au pouvoir politique, il ne saurait y avoir de données statistiques pertinentes et crédibles. L'intérêt porté à l'information statistique exclusivement réservée par le passé à l'Etat pour ses besoins de planification, s'est, en effet, élargi à d'autres utilisateurs comme les entreprises et le public d'une façon générale (consommateurs, demandeurs d'emploi, nouveaux initiateurs de projets...). Les besoins de ces utilisateurs se manifestent d'une manière diversifiée, relevant aussi bien du domaine social, comme la population et l'emploi, que du domaine économique, comme le suivi de la conjoncture ou le besoin de connaître les évolutions du marché. L'information statistique se trouve ainsi au cœur à la fois de l'activité de prospective et de l'étude prévisionnelle, deux axes majeurs de tout processus de prise de décision, qu'il s'agisse de l'Etat et des pouvoirs publics, des opérateurs économiques ou des citoyens. Le rôle d'éclaireur à la fois de l'opinion publique et des pouvoirs publics confère ainsi à l'activité statistique une portée éminemment citoyenne et en fait un des attributs essentiels de toute démocratie. Il est de l'intérêt de tous de garantir les conditions nécessaires au travail, dans la sérénité et en toute transparence, des structures nationales de production statistique, l'INS en tête. Il n'est à ce titre meilleur garant de crédibilité que d'inscrire dans la loi le principe de l'indépendance de ce prestigieux institut.