La vie a repris doucement son cours à Medjez El Bab, situé à près de soixante kilomètres au nord-ouest du pays, après les inondations qui ont touché la région. Ce mercredi 15 mars, le soleil darde fort ses rayons sur le vieux café se trouvant à l'entrée de la ville et qui ressemble à une ruche à abeilles. Les dernières inondations ne semblent plus être qu'un mauvais souvenir chez les badaux installés à l'ombre et scrutant d'un regard curieux les étrangers qui franchissent le pont construit au-dessus de l'Oued Medjerda dont les eaux jaunâtres roulent à grands flots le long du lit qui serpente les patelins bordant la périphérie de la localité. Forgés par l'adversité, habitués à affronter la colère de Dame Nature, les habitants de la région se sont mis à nouveau à vaquer à leurs occupations. Le long de l'avenue, chacun a repris son activité. Les employés du kiosque de la ville remplissent les réservoirs des automobiles stationnant devant les pompes à essence, en regardant avec résignation et indifférence l'oued vomir à grande vitesse ses eaux bordées d'écume. C'est dans les patelins que la colère se ressent le plus. Les grandes cultures maraîchères ont pour la majorité été détruites par les récentes inondations. La basse vallée de la Medjerda, qui fournit environ 40% des fruits et légumes commercialisés dans les marchés du pays, a été inondée par les flots de l'oued qui a débordé de son lit sur près de huit kilomètres. «L'oued n'a pas fait l'objet de curage depuis des années. Il est rempli de roseaux, de jonques, d'eucalyptus et d'herbes sauvages. C'est ce qui explique le fait que l'oued ait partiellement débordé de son lit», observe Chokri Khaled, un agriculteur de la région. Fourrages et plants d'artichauts détruits Dans les patelins de Gerrich, Oualjat el Matiss, El Herri, Boussedra, les petits agriculteurs ont procédé au grand labour de leur sol pour semer les légumes d'été. Ces derniers avaient, déjà, subi de grandes pertes lors des inondations du mois de novembre qui ont détruit les cultures de légume d'hiver. Les dernières pluies de février ont également provoqué le débordement de l'oued Medjerda qui est encore une fois sorti de son lit inondant les terres agricoles des petits patelins se trouvant sur les rives gauche et droite. Les flots violents ont tout arraché sur leur passage. Dans ce coin de la région, les agriculteurs sont las de devoir à chaque fois affronter la colère du «monstre» qui emporte tout. Moëz Mattoussi, la quarantaine, qui possède un terrain de cinq hectares dans la zone de Gerrich, jette un regard amer sur sa terre ravagée par les eaux. Ce dernier avait planté des fourrages pour l'alimentation de ses vaches et s'apprêtait à récolter des artichauts. Ce dernier n'a pas, non plus, procédé, au cours des derniers mois, au labourage et à la préparation et la fertilisation du sol pour la plantation d'orangers. En face, seule la cime de quelques arbres fruitiers et des plants ainsi que des piquets plantés pour délimiter le terrain laissent deviner la présence d'une terre agricole qui disparaît sous les eaux. «La saison agricole est fichue pour cette année. J'ai investi tout l'argent que j'avais pour la plantation de fourrages qui servent à l'alimentation de mes vaches ainsi que la plantation d'artichauts, tout est parti en fumée. Je n'ai plus rien. Même les aides qui seront versées par l'Etat ne suffiront pas à compenser les pertes énormes que nous avons subies. Ce que nous voulons, nous agriculteurs de cette région, c'est de pouvoir louer des terres agricoles appartenant à l'Etat se trouvant loin de l'oued afin de pouvoir les exploiter. Nous n'avons pas besoin d'assistance financière. Nous avons besoin de solutions durables. Nous voulons travailler». Réaction négative du CRDA Dans le patelin d'El Grich, de grosses 4x4 poussiéreuses roulent lentement sur les pistes boueuses recouvertes d'eau provenant de l'oued qui a également inondé les terres agricoles transformées en lacs. Sur un vieux panneau jaune planté à l'entrée d'un autre patelin, Boussedra, on peut lire l'indication : oued Lahmar. Hamza Boukraya, un agriculteur, originaire de la région a vu lui aussi, sa terre dévastée par les eaux, lors des dernières inondations. Révolté par l'indifférence du gouvernement qui continue à faire la sourde oreille, l'homme espère, toutefois, que des mesures urgentes soient prises pour sortir du pétrin les agriculteurs de la région. «Alors que j'ai dépensé près de mille dinars par hectare, l'Etat m'a proposé de me rembourser trente dinars par hectare. Nous accorder une aide financière n'est pas la solution adéquate pour nous autres agriculteurs. Nous avons besoin de travailler. L'Etat doit plutôt nous aider à rembourser nos dettes. Le gouvernement pourrait également mettre à notre disposition des terrains agricoles appartenant à l'Etat que nous sommes prêts à louer et à exploiter. Aujourd'hui, parce ce que nous n'avons pas payé l'électricité et surtout l'eau d'irrigation fournie par le commissariat régional au développement agricole, ce dernier refuse de continuer à nous en fournir jusqu'à ce que nous nous acquittions de notre dette. Or nous sommes sans le sou. Certains d'entre nous ont même été obligés de vendre leurs équipements pour pouvoir continuer à subvenir aux besoins de leurs familles. Ce que nous demandons, c'est que nous puissions trouver un terrain d'entente avec le commissariat pour qu'on puisse continuer à travailler. On ne peut pas non plus rester les bras croisés à ne rien faire».