Par Mohamed DAMAK En l'absence d'un cadre de lois spécifiques à la justice transitionnelle, les limites du pouvoir juridictionnel traduisent un écart manifeste entre l'état du droit constitutionnel et la pratique. Dans le cas d'espèce de la Tunisie, le texte est en retard par rapport aux exigences de la réalité judiciaire. La multiplication des cas (pays de l'Est, l'Amérique du Sud, l'Afrique du Sud, etc.), faisant appel à la nécessité de l'instauration d'une justice transitionnelle, rend difficile et complexe l'effort de production de son cadre conceptuel et de ses mécanismes opérationnels. Au contraire, dans certains pays à démocratie stabilisée, la montée en puissance de la justice tend à en faire un pouvoir constitutionnel. A côté de cette « justice traditionnelle institutionnelle», dans les pays de tradition démocratique, émerge une «justice transitionnelle» sanctionnant l'exceptionnel. Si la première est facilement justiciable, la seconde est difficilement saisissable. La preuve, dans son rapport Mapping devant le Conseil de sécurité, le secrétaire général des Nations unies a proposé la définition suivante, «la justice transitionnelle est l'éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d'établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation». Cette tentative de réflexion à la notion de justice transitionnelle est loin de faire l'unanimité en doctrine au sein des organisations internationales et suscite beaucoup de divergences d'appréciation. Sur le plan méthodologique, le développement conceptuel de la justice transitionnelle devrait porter sur la délimitation de son champ d'investigation, conditionnant son articulation avec d'autres composantes nationales et internationales du pouvoir juridictionnel. La délimitation de la justice transitionnelle pourrait avoir une signification à travers : - l'examen de ses fondements et de sa pertinence ; - l'accord sur une définition consistante unanimement acceptée, donnant lieu à l'élaboration de principes facilitant son exercice et recueillant une adhésion collective. Aussi, la justice transitionnelle doit être à la fois indépendante et doublement articulée dans ses relations entretenues tant avec le pouvoir juridictionnel national qu'avec les juridictions internationales. Par ailleurs, le rapport Mapping des Nations unies énonce que les objectifs principaux de la justice transitionnelle visent à «promouvoir des dynamiques de réforme et de réconciliation au sein des sociétés sortant de conflits armés ou d'une période marquée par des crimes commis sur une grande échelle. Ils doivent aussi contribuer à la prévention de nouveaux conflits, à la consolidation de la démocratie et au rétablissement de l'Etat de droit, le tout sur de nouvelles bases consensuelles. La justice transitionnelle tend également à rendre leur dignité aux victimes des violations des droits de l'Homme, grâce à des mesures de justice, vérité et réparation pour les torts qu'elles ont subis ». Nécessairement, entre la justice transitionnelle et la réforme des institutions, le lien est manifeste. Il consiste à opérer dans le cadre d'une réforme du secteur de la sécurité, une procédure d'assainissement. Selon le rapport Mapping, il s'agit d'un mécanisme qui vise à ce que «les fonctionnaires de l'Etat qui sont personnellement responsables de violations flagrantes des droits de l'Homme, en particulier ceux de l'armée, des services de sécurité, de la police, des services de renseignements et du corps judiciaire, ne doivent plus exercer leurs fonctions au sein des institutions de l'Etat ». Une telle procédure d'assainissement aurait le grand mérite de « constituer une mesure de prévention des violations des droits de l'Homme, tout en permettant un certain degré de satisfaction pour les victimes dans la mesure où les auteurs présumés qui ne sont pas poursuivis sont au moins exclus de positions de pouvoir, notamment des forces de sécurité ». Pour mener à bonne fin l'élaboration d'un cadre de lois de la justice transitionnelle, il est impératif d'insister sur l'indépendance de son secteur d'appartenance, le pouvoir judiciaire, ainsi que sur la suppression de la fonction de ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle.