Par Soufiane BEN FARHAT Paradoxes. La riposte au régime syrien diffère d'un pays à l'autre. «Naturellement c'est un cauchemar. Ce régime est devenu fou», a estimé Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, dans un entretien accordé au Monde. Cependant, le chef de la diplomatie française affirme qu'il continue «à penser qu'il n'y a pas pour l'instant d'option militaire. Il est exclu que nous nous lancions dans une telle opération sans un mandat des Nations unies, et les conditions pour un tel mandat ne sont pas rassemblées». Et de continuer : «J'ai deux lignes rouges. Je ne peux pas accepter que l'on présente les oppresseurs et les victimes sur le même plan. L'initiative de la cessation des hostilités doit donc venir du régime. La seconde: on ne peut pas se contenter d'une déclaration humanitaire et d'un cessez-le-feu - il faut absolument faire référence à un processus de règlement politique fondé sur la proposition de la Ligue arabe». De leur côté, la Russie et la Chine continuent leur soutien, de plus en plus critique, au régime de Damas. Côté arabe, le son de cloche est différent. Les régimes du Golfe semblent en confrontation quasi-ouverte avec le pouvoir syrien. On annonce d'une part la fermeture prochaine des ambassades du Qatar, du Koweït, des Emirats arabes unis et du Sultanat d'Oman, quatre Etats membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). De l'autre, des informations sûres font état de mouvements d'engins militaires saoudiens en direction de la Jordanie en vue de procéder à l'armement des troupes dissidentes syriennes. Bref, certains Arabes jouent avec le feu. La région est mûre pour un embrasement général dont tous les protagonistes feront les frais. Tous sans exception. Sur le plan géostratégique, les ingrédients du drame sont déjà plantés. D'une part, l'axe américano-israélo-arabo-sunnite ; de l'autre, l'axe syro-iranien soutenu par le Hezbollah libanais avec sa redoutable puissance de feu et les superpuissances russe et chinoise. Que l'Arabie Saoudite et le Qatar tentent l'option militaire, et nous voilà prêts à une séquence de guerre chaude ravageuse. Le tout, bien entendu, sur fond de préventions, d'alliances et de contre-alliances dignes des pires moments de la Guerre froide. Pourquoi le Qatar et l'Arabie Saoudite sont-ils si prompts à mettre la baïonnette à l'ordre du jour ? A quel agenda secret obéissent-ils ? Croient-ils d'aventure que ceux du camp d'en face les laisseront faire en toute impunité ? Et si c'était là le prélude à une nouvelle guerre régionale qui pourrait virer facilement à la guerre mondiale ? Visiblement, les protagonistes semblent faire le lit des pires scénarios. Le régime baâthiste est responsable du carnage qui a lieu en Syrie. Certes. Mais lui faire redorer le blason de victime est le meilleur cadeau qu'on puisse lui faire. Un cadeau empoisonné d'abord pour ceux qui le donnent. Ensuite pour toute la région, ses Etats, ses peuples et ses équilibres stratégiques. Les Américains, eux, ne semblent pas encore prêts pour une nouvelle expédition militaire en Syrie. L'administration Obama y risque gros. Mais les israéliens veulent précisément forcer Obama à enfourcher leur cheval de bataille, notamment contre l'Iran, avant l'élection présidentielle de novembre 2012. Autrement, le locataire de la Maison-Blanche, installé allégrement pour un nouveau mandat, n'obéira pas de sitôt au diktat du puissant lobby pro-israélien dans la course au fauteuil présidentiel. Il y a une donne et plusieurs paramètres. Jusqu'ici, la Turquie joue aux temporisateurs. C'est ainsi qu'Ankara envisage la création d'une zone tampon en Syrie pour protéger les réfugiés qui fuient la répression, a annoncé avant-hier le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. En termes géostratégiques, cela s'appelle manœuvre dilatoire. Les Arabes, eux, sont passés maîtres dans la manœuvre consistant à piquer la tête en avant. Et ils y ont toujours laissé des plumes.