Leurs douleurs persistent et leurs plaies sont encore ouvertes. Les familles des martyrs et des blessés de la révolution n'ont pas lésiné sur les moyens et la manière pour crier leur détresse et leur frustration face au mutisme retentissant du gouvernement en place. C'est que ce dernier a fait la sourde oreille à leurs revendications si légitimes, tout en continuant de tergiverser sans manifester la bonne volonté de trancher ce dossier si délicat. Pis encore, pas plus tard d'il y a quelques jours devant le département ministériel de M. Samir Dilou, certaines familles ont été contraintes de manifester pour faire valoir leurs droits à une justice équitable. Elles ont même été agressées, ce qui a suscité une vague d'indignation, à n'en plus finir. Cette situation certes déplorable n'a pas laissé indifférents les avocats de la défense chargés de cette affaire. Hier à 10h00, en commémorant la fête des Martyrs du 9 Avril 1938, date glorieuse et significative à plus d'un titre, un certain nombre des familles des martyrs et blessés de la révolution du 14 janvier 2011 étaient conviées à une conférence de presse tenue au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) pour exprimer leur colère et livrer de nouveau leurs témoignages attristants. Me Amor Safraoui, membre du groupe des 25 avocats et coordonnateur général de la coordination nationale de la justice transitionnelle, nous a déclaré que cette conférence porte sur « les souffrances des familles des martyrs et blessés : entre la lenteur de la décision politique et la non-disponibilité de la justice ». A l'en croire, cette manifestation a été organisée en réaction à ce qui s'est passé la semaine dernière devant le ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, au moment où plusieurs blessés et certaines familles des martyrs de la révolution ont été victimes d'actes de violence intolérables. « Mais aussi notre présence aujourd'hui est un signe de protestation contre les dérapages de la justice militaire qui a sollicité les avocats concernés de demander des dédommagements au mépris de la vérité et du jugement des criminels », révèle-t-il, soulignant que l'une des raisons de cette conférence consiste à éclairer l'opinion publique sur la position de rejet adoptée par le groupe des 25 avocats contre ces pratiques inacceptables et son attachement indéfectible à mener le procès des martyrs et blessés jusqu'au bout, loin de toute forme de chantage ou d'instrumentalisation. Promesse que Me Charfeddine Kellil, avocat membre du groupe des 25, a tenu à défendre bec et ongles, à ses risques et périls. Car, pour lui, il est question de chercher la vérité, à tous ses prix, afin de juger les criminels de la révolution et de rendre justice aux justiciables. Un principe qui ne déroge pas aux règles de la justice transitionnelle. Me Kellil s'était décidé de décréter la journée d'hier celle du rejet par excellence, de par la position qu'ont prise les 25 avocats à l'égard des allégations mensongères présumées apporter solutions au dossier des martyrs et blessés de la révolution, accusant le département de M. Dilou, le ministère de l'Intérieur et le gouvernement de Jbali d'avoir été fort impliqués, en usant des détours pour retarder les procédures judiciaires. « Nous refusons également que ce pouvoir en place cherche à diviser les rangs des familles justiciables et faire de ce dossier un fonds de commerce soumis aux surenchères», déplore-t-il. Alors que ce même dossier, a-t-il rappelé, n'a cessé, durant la campagne électorale de 2011, de figurer sur la liste des priorités que le peuple aurait à bénéficier. Autant des revendications légitimes que le gouvernement s'en est, aujourd'hui, désengagé, comme l'a bien montré. Et de poursuivre, profondément ému, « Nous regrettons ce désengagement rusé, ainsi que toutes les tentatives tendancieuses à faire prévaloir l'argent contre le silence gratuit face à des pratiques malsaines de certains influents de l'Etat ». « On ne demande jamais l'impossible, on a revendiqué un droit acquis au jugement des meurtriers dont les mains sont souillées de sang et de despotisme », a-t-il insisté sur un air tendu. Désespérées, accablées par les fardeaux des maux, les familles ayant perdu leurs enfants sont venues, chacune une fleur à la main en signe de recueillement à la mémoire de tous les martyrs du pays dans cette journée historique. Mères, pères et sœurs, tous ont été unanimes à demander des comptes et appeler au jugement des coupables. Rien ne pourrait assouvir la faim et soigner les plaies que de juger les meurtriers de leurs enfants. « Ni l'argent, ni les pressions ne parviennent à nous détourner de nos fins », jurent les familles des martyrs et blessés de la révolution. Etant sur les traces de leurs avocats, elles ont reproché la lenteur des jugements et accusé le gouvernement et la justice militaire d'avoir voulu enterrer les dossiers et camoufler la vérité, toute la vérité. Et d'indiquer que les snipers qui avaient tué et blessé leurs enfants innocents lors de la révolte pour la dignité et la liberté n'ont été, en réalité, que des armés et des agents de la sécurité fort alliés au régime déchu. « En rendant un vibrant hommage aux âmes de nos martyrs du 9 Avril et du 14 Janvier, l'on est là, aujourd'hui, pour refuser catégoriquement tout échange ou chantage, car rien n'équivaut à une larme d'un seul œil versée pour mon cher et regretté fils», affirme en toute détresse, Fatma, mère du martyr Ahmed Ouerghi. Indigent, Hassen, venu d'Om Laârayes, a parlé de la mort de son fils, tombé à Tozeur en pleine révolution. «Oublié et délaissé sans soutien, j'ai pris mon mal en patience jusqu'à ce que la justice tranche sur mon affaire». Et de répéter à maintes fois, « je n'accepte aucun dédommagement sauf que justice soit rendue équitablement...». «Celui qui a tué devrait payer... », a lancé, brièvement, Sayda, mère d'un martyr décédé à El Kram Gharbi. Essoufflée, elle n'a pas pu continuer son témoignage. Plusieurs autres blessés présents à la conférence sont aussi de l'avis de leurs collègues. Certains devenus handicapés, d'autres sont candidats à se faire soigner à l'étranger, ils ont beaucoup souffert des fausses promesses. Eux aussi, ils n'ont point hésité à remettre en cause la justice militaire et le ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, qualifiant le flou qui persiste d'un véritable complot politique. Etaient également présents à cette manifestation, M. Ali Mekki, président de l'Association nationale de la défense des droits des martyrs et blessés de la révolution « Lan Nansakom » (On ne vous oubliera jamais) et M. Ali Ben Salem, membre de la section de Ltdh de Bizerte qui a promis d'aider à trouver solution auprès de M. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle. Y a pris également part le membre de la Constituante, M. Abderraouf Ayedi. Ce dernier n'a pas caché, de son côté, sa vive préoccupation quant aux dérives qu'a connues le dossier des martyrs et blessés de la révolution. Lui aussi, il a défendu la cause des martyrs et blessés de la révolution et s'est engagé à faire de son mieux pour y parvenir.