Un séminaire s'est tenu hier dans la capitale sur le thème du rôle de la femme dans les courants de l'islam politique. Organisée par le Centre américain d'études maghrébines basé à Tunis (Cemat) avec le concours de l'université de Sfax, la rencontre était financée par le Hollings Center, organisation non gouvernementale installée à Washington et à Istanbul, dédiée à la promotion du dialogue entre les Etats-Unis et les pays majoritairement musulmans. Il s'agissait de penser et définir le rôle dédié à la femme dans certains pays de la région comme la Mauritanie et l'Egypte, en plus de la Tunisie. Laryssa Chomiak, directrice du Cemat, précise que les femmes invitées à apporter un témoignage sur leurs expériences ont un rôle actif au sein des partis islamistes de leurs pays respectifs, le parti Tawassoul pour la Mauritanie, Justice et Liberté pour l'Egypte, Ennahdha pour la Tunisie. Elle explique que l'objectif est de cerner de quelle manière la femme est appelée à exercer le pouvoir politique au sein d'un parti d'orientation islamique. Pour Mme Chomiak, il existe au sein même de l'islam politique «des mouvances très modérées». Par voie de conséquence, l'islam politique est parfaitement applicable de nos jours, il peut être en phase avec les valeurs universelles ainsi qu'avec les fondamentaux de l'Etat moderne. Elle pense, «que c'est une nouvelle expérience de ces courants avec la démocratie». Dans cet ordre d'idées, Mme Mehrezia Laâbidi, vice-présidente de l'Assemblée nationale constituante et membre influent du parti Ennahdha, a bien voulu en aparté répondre à quelques questions de La Presse, laissant entendre en filigrane la possible émergence, ou existence, d'un féminisme islamiste : Y a-t-il une place pour la femme dans l'islam politique? La femme a cette capacité de représenter la voix subversive, qu'elle évolue à l'intérieur d'un parti à référence islamique ou non. Elle a cette disposition à «être une force contre soi-même», une force qui change de l'intérieur, une force de propositions. De fait, il est temps pour la femme de s'approprier les discours politiques, social et religieux, et de ne pas se contenter de consommer ce qu'on lui propose. Moi j'ai été l'élève de femmes de pensée, telle Dr Mahbouba Marshaoui, l'une des premières femmes du mouvement Ennahdha qui a écrit une étude critique sur la place de la femme dans la pensée et l'histoire musulmanes. C'est une femme qui contribue maintenant au débat d'idées. Nous en avons beaucoup d'autres. Est-ce que les femmes d'Ennahdha rencontrent une opposition de la part de l'aile radicale au sein de leur parti ? Non pas vraiment, et je ne vous cache pas que ça me surprend. Je dois dire qu'il y a une reconnaissance du rôle ainsi de la position de la femme au sein d'Ennahdha. C'est un couronnement du militantisme politique et de la résistance à la dictature. Beaucoup de femmes ont gagné leurs galons grâce à leur combat, leurs sacrifices et à ce qu'elles ont donné pendant les années de braise. C'est ce qui m'a donné envie d'adhérer ou plutôt de réadhérer à ce projet et de le porter. Vous sentez-vous différente, avec votre coloration politique, des autres femmes tunisiennes, portez vous une vision autre, ou bien êtes-vous solidaire avec la femme tunisienne en général dans son combat ? Vous savez si je me sentais différente, ma place aurait été ailleurs. Mais je tiens à dire une réalité, durant plusieurs décennies, la société tunisienne a été scindée en une élite d'un côté, et le peuple de l'autre. Eh bien moi, je refuse cette séparation. Je suis issue d'une catégorie sociale populaire. Je suis une fille du peuple, et certains, croyant me critiquer, ont lancé cette boutade; «elle ressemble à ma mère», eh bien oui ! je ressemble à beaucoup de mamans, par mon physique et peut-être aussi par ma manière d'agir ; mais mes études ainsi que ma pratique des activités politiques et associatives m'ont donné d'autres capacités que peut-être certaines femmes tunisiennes n'ont pas. Maintenant, les acquis de la femme tunisienne nous appartiennent à toutes, et c'est bien grâce à ces acquis que je suis là aujourd'hui. Si je ne lutte pas pour les préserver, si je ne me sens pas concernée en étant une femme parmi les autres femmes tunisienens, je crois que je n'aurais plus ma place. Donc vous pensez représenter la voix de la femme tunisienne quelles que soient ses orientations, sa vision et la voix qu'elle porte? Je ne pense pas qu'il y ait une seule et unique voix féminine tunisienne, d'ailleurs la femme est plurielle tout comme l'homme. Les Tunisiens sont pluriels, nous l'avons vu. A mon avis, nous sommes une voix qui n'est pas discordante mais cohérente avec les autres voix féminines, tout en se donnant la capacité de contester, de faire avancer les choses et de mettre le doigt sur ce qui ne va pas. Je peux vous dire que certaines députées au sein de l'Assemblée — j'en cite quelques-unes, Yamina Zoghlami, Beya Jaouadi, Hager Azaiz — quand elles prennent la parole, ça déménage !