Si le jazz était une couleur, quelle serait-elle? Une question à laquelle il est difficile de répondre, tellement ce genre est entouré d'influences et de fusions. Rien que mercredi soir dernier à Jazz à Carthage, il y avait de l'«Emotion Jazz» et du «Blues Touareg». De l'Emotion Jazz! On ne pourrait qu'adhérer à cette appellation à l'écoute du répertoire des Triotonic, qui nous viennent d'Autriche, revendiquant une musique expérimentale et un jazz européen. D'ailleurs, ils ont choisi pour leur premier album, sorti en 2001, l'appellation «Sensitive» (sensible). Quant à leur deuxième album, il s'intitule «Homecoming» (retour à la maison). Les trois membres du trio —Volkhard Iglseder au piano, Olivier Stege à la double-basse et Bernhard Wittgruber à la batterie— composent et arrangent eux-mêmes leur musique. Leur formation n'a pas changé depuis leurs débuts (1999) et leur attachement à une atmosphère particulière, «faite de tristesse et d'espoir», comme la décrit Volkhard Iglseder, fait de leur projet musical un véritable voyage au pays des émotions. «Si vous aimez le thème de la lune et des trous noirs, ceci peut vous plaire», continue le pianiste en annonçant le morceau «Hide and seek» (cache-cache). La musique des Triotonic semble familière, mais elle ne l'est pas vraiment. C'est peut-être parce qu'elle réussit son pari de traduire des sensations et des états d'âmes que toute personne peut ressentir. Depuis le premier titre et jusqu'au dernier, «Pure» interprété en rappel, ce fut comme un «road-movie» dont chacun peut écrire l'histoire selon sa perception de la musique. Pas étonnant que dans une de ses expériences sur scène, le groupe avait mis un écran de projection, avec des vidéos d'ambiance. Dans la soirée de Jazz à Carthage, c'est plutôt la lumière qui a assuré cet effet, en accompagnant autant le trio que Hindi Zahra. Venons-en à Hindi Zahra justement qui a assuré le «prime time» de la soirée. Elle est un personnage, sa musique une personnalité. La Marocaine au blues touareg prend un malin plaisir à échapper aux classements. D'habitude, habillée tout en couleurs, elle fait son entrée à Jazz à Carthage toute de noir vêtue. La couleur était partagée entre sa voix, celle de sa choriste Lucile Loison et les doigts des musiciens Didier Guazzo à la batterie, Thibault Frisoni à la guitare, Silvano Matadin à la basse et Hakim Hamadouche au luth. En 2011, Hindi Zahra remporte une Victoire de la musique. S'ensuit une tournée planétaire, mais l'artiste en herbe est née des années plus tôt. Dans une famille de musiciens ouverts aux rythmes orientaux et africains, son sens artistique se développe et elle commence à écrire et à composer, toute seule avant de se lancer dans l'expérience de la scène avec son premier album «Handmade» (fait main, 2010). Même s'il s'inscrit sous le blues touareg, cet album est comme un arc-en-ciel musical où l'on reconnaît du jazz manouche et des influences orientales et extrême-orientales. Ses paroles sont en anglais et en berbère. Entre Hindi Zahra et les couleurs, il y a une longue histoire. Elle en met partout : dans sa voix, ses habits, sa musique, ses affiches et couvertures d'album qui vous renvoient dans un marché d'épices ou au cœur du Festival des couleurs en Inde. Pendant le concert de mercredi dernier, Hindi Zahra a commencé par «Don't forget about me» avant de passer à l'une de ses chansons les plus connues «Beautiful tango». Sa reprise de «The man i love» de George Gershwin est mixée à la «Sawah» de Abdelhalim Hafedh, non sans rappeler la démarche musicale de Natasha Atlas. Elle a, ensuite, enchaîné avec «Break all the chains», «Imik simik», «Voices» et «Stand up» qui a mis le feu à la salle. Hindi Zahra et son groupe ne se sont pas fait trop prier pour le rappel où la chanteuse a fini seule avec sa guitare, comme elle avait commencé. Douce folie..