La dernière soirée de jazz à Carthage fut, comme tout le monde s'y attendait, un mélange entre deux univers musicaux, deux artistes de générations différentes qui ont réussi à entraîner le public dans une ambiance festive. La première partie de la soirée fut assurée par Bendir man, artiste atypique, chansonnier et agitateur de la scène underground. Et dans la deuxième partie, on a basculé avec « the iron man », Michael Burks, dans du blues et rien que du blues. Il n'a pas la langue dans la poche, c'est le moins qu'on puisse dire de cet artiste dont les premiers titres se partageaient, sans retenue, sur facebook. Bendir man est un personnage, une sorte de conscience citoyenne tout en rimes et accords. La censure est son pire ennemi et l'autocensure est quelque chose qui lui est inconnue. Après son passage sur plusieurs scènes tunisiennes (post-révolution, évidemment), celui de dimanche dernier à Jazz à Carthage fut une nouvelle découverte. D'habitude solitaire avec uniquement sa guitare, on le retrouve avec une formation qui rend bien sa musique. Bendir man, auteur compositeur et interprète, a servi le meilleur de lui-même devant le public du Barcélo. Ses chansons sont connues de tous et ses vannes ponctuaient son show. D'un titre à un autre, il fustige notre monde politique et social, avec ses injustices, ses privations de liberté. Même après la chute de l'ancien régime, il reste vigilant au sujet de la censure, du droit des femmes, de la liberté, telle une sentinelle. Résistance et tolérance sont les ressorts qui l'animent. Sa prestation renverse tout sur son passage et le public le suivait dans ses frasques. Joueur, il bouscule, dérange et amuse. Ses flexions sur le paysage politique lui servent d'intro pour ses chansons. Chacune raconte une histoire, un moment de notre histoire, celle de notre révolution, depuis la révolte du bassin minier, les élections, la Troïka, le gouvernement, le président... personne n'est épargné. Bendir man a fait sensation, en chantant notamment la détermination d'une jeunesse à avoir le dernier mot. La deuxième partie de la soirée fut dans un autre registre, avec un colosse du Blues, Michael Burks, surnommé Iron man. Il le doit à ses incroyables performances scéniques. A 54 ans, Michael Burks reste une force de la nature. Sa jeunesse laborieuse a donné à ses compositions cet accent populaire, apprécié par les gens du sud des USA. Ses compositions sont tout à la fois profondément ancrées dans la tradition bluesy, teintées des sonorités électriques du rock, né des usines et des bas quartiers. Son passage sur la scène de Jazz à Carthage est un temoin d'une longue tradition de musique regorgeant d'histoires et d'un legs lourd, transmis de père en fils. Première chanson : « Miss you » des Rolling Stones ! Deuxième morceau : « Light at the edge of the world », une des plus belles ballades de l'histoire du blues. Et une version instrumentale de « Oye como va » de Carlos Santana et puis suivirent des blues et encore des blues, des rapides et des lents, des heavy et des low down. Certains de ces joyaux avaient pour créateurs des légendes comme Jimi Hendrix, « Hey Joe ». Michael était un colosse, de générosité, infatigable à sa guitare et d'une présence scénique admirable. Une clôture en apothéose au grand plaisir des amateurs de la bonne zik. A la prochaine.