S'agit-il d'un retour à la case départ ou d'une continuité logique des faits? Encore une fois, un groupe d'étudiants salafistes a fait la loi à la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba, en interdisant au doyen, M. Habib Kazgoughli, l'accès au siège du décanat et à son bureau, hier matin, à 8h30. La dizaine d'étudiants ont occupé l'entrée et le hall où ils ont brandi des pancartes résumant leurs demandes. Cette fois, la liste est plus longue. En plus de la salle de prière et le droit des étudiantes en niqab à assister aux cours et à passer les examens, ils revendiquent la réintégration de leurs collègues renvoyés et la révision des notes, à savoir les «zéros» attribués à certaines étudiantes en niqab. Revenant sur les faits, avant-hier, relève le doyen, un groupe d'étudiants a demandé à s'entretenir au moment où il était en réunion. Ne pouvant les recevoir, déterminés, les salafistes, de leur côté, ont siégé dans les locaux administratifs. Hier matin, à son entrée au parking de la faculté, le doyen a remarqué la présence de ces étudiants barbus qui ont formé un cordon barrant la porte d'entrée du décanat. Pour éviter tout accrochage, et une éventuelle interruption des cours, il s'est dirigé directement à la salle de classe. La première séance terminée, à 10h30, il a tenté de regagner son bureau, mais ces étudiants salafistes l'ont empêché, violemment, a-t-il précisé, de s'approcher de la porte d'entrée. Bien que les agressions soient devenues, depuis novembre dernier, un pain quotidien du corps professoral, a-t-il ajouté, on a négocié avec ces manifestants jusqu'à 11h30. Après une heure passé à négocier en vain, il a adressé un fax manuscrit, dont La Presse a obtenu une copie, au rectorat de La Manouba, au ministère de l'Enseignement supérieur et au ministère de l'Intérieur, pour demander une intervention de la tutelle. Jusqu'à 15h30, aucune mesure n'a été prise. Il convient de signaler qu'on a remarqué une présence des forces de l'ordre aux alentours de la faculté. «C'est une présence habituelle mais elles ne sont pas intervenues pour empêcher les évènements passés, notamment le sacrilège du drapeau national», rappelle un enseignant. Elu par le conseil scientifique, le doyen est doté de tous les pouvoirs lui permettant de gérer la faculté, mais dans les cas extrêmes, il pourrait faire appel à la tutelle pour redresser la barre. Ainsi, du côté du doyen, l'affaire est claire : face à l'impossibilité de maintenir l'ordre, et la récidive de ces manifestants, c'est au ministère de tutelle d'assumer ses responsabilités et d'agir en vue de consolider la position du doyen. Surtout que le tribunal administratif a tranché dans l'affaire du port du niqab. «Qu'est-ce qu'on attend pour mettre ces jugements en vigueur», s'interroge-t-il. En signe de solidarité avec le doyen, les enseignants ont suspendu, hier, les cours pour les reprendre aujourd'hui d'une manière normale. En face du décanat, au sein du bloc réservé aux affaires estudiantines, un groupe d'enseignants s'est réuni pour débattre de la situation. S'agissant des revendications de ce groupe d'étudiants, ils s'accordent à dire que ces notes ont été attribuées à des étudiantes qui n'ont pas passé les épreuves suite à leur refus de dévoiler leur visage. Pour ce qui est du lieu de prière, l'un des enseignants a noté que c'est un besoin manifesté, depuis belle lurette, par tous les intervenants au campus et ce n'est guère une nouvelle demande. Et pour le dossier des étudiants renvoyés, le doyen a insisté qu'après avoir réuni touts les préalables et consulté tous les avis, les décisions ont été prononcées lors d'un conseil de discipline réuni en bonne et due forme. L'un des enseignants a expliqué que «c'est entre les actions spectaculaires, fortement médiatisées et les actions isolées et récurrentes, que se dresse le vécu de la faculté» et de renchérir : «Empêcher un agent de remplir ses fonctions est un délit sanctionné par la loi». Bien qu'ils n'aient montré aucune réserve pour cette tenue vestimentaire, ni pour d'autres, l'un d'eux a précisé : «Les libertés individuelles sont limitées par les exigences pédagogiques et scientifiques, comme dans le cas de certains métiers où le port d'un uniforme est exigé». Pris sur le vif Au hall du décanat, l'un des enseignants de langue italienne a tenté de mener une négociation avec les campeurs en vue de les convaincre de l'absurdité de leurs actes et de leurs conséquences sur l'ensemble de la faculté. Tout a commencé doucement avant de lui balancer une série d'accusations qui semblent cibler tout le système éducatif, les organes de gestion de la faculté et non seulement l'enseignant en personne. Ils déplorent une politisation du conseil de discipline et une tentative d'écarter les salifistes de l'université. Venant de loin, l'un des étudiants barbus a hurlé à maintes reprises que «les programmes ne s'accordent pas avec les principes de la Sunna. Vous voulez déraciner la religion! Sachez qu'on est fort dans tous les coins de la terre et prochainement en Tunisie, les gauchistes seront chassés partout». Et de renchérir : «Nous reconnaissons seulement la loi divine et pas de place pour toute autre loi». Après cette discussion chaude et tendue, le professeur, qui n'a aucune appartenance politique, nous a confié que des évènements de ce genre auront un effet néfaste sur la notoriété des diplômes tunisiens à l'étranger. R.M.