La deuxième soirée des Journées du théâtre libre, en hommage au metteur en scène et comédien Abdelwahab Jamli, à la salle le 4e art, a tout de même attiré un public averti et intéressé. Avec El h'na (approximatif : la sérénité), d'après La noce chez les petits bourgeois, texte théâtral en un seul acte de Bertolt Brecht, Ghanem Zrelli dépeint un tableau piquant sur la vie de couple (le mariage) et nous donne sa lecture du bonheur. Fayez et Malak organisent une fête pour leurs noces : on y boit, on y mange, on y fume et on y danse... L'arrivée inattendue de nouveaux invités, à la fin de la soirée, fait que l'ambiance tourne aux confidences et même aux confrontations... Il n'y a plus rien à servir aux invités, les musiciens sont fatigués, la mariée est bourrée et l'époux a du mal à faire entrer les meubles, trop imposants pour passer par la porte. Situation chaotique, propice au déballage et aux règlements de comptes. Du texte original, Ghanem Zrelli retient l'essentiel. L'écriture dramaturgique offre aux personnages des moments d'aparté en direction du public, de confessions intimes, comme le concevait Brecht, en rompant avec l'illusion théâtrale et pousser le spectateur à la réflexion. D'ailleurs, son œuvre est ouvertement didactique. Les deux comédiens échappent, d'ailleurs, à l'incarnation et optent plutôt pour la narration. Ils s'adressent à l'auditoire qui s'est retrouvé, dès son entrée dans la salle, à jouer le rôle des invités indésirables. Un va-et-vient s'installe entre la salle et la scène, on se retrouve impliqué dans ce que nous raconte Malek sur ses rêves et ses déboires, ses ambitions et la réalité de sa vie, alors que Fayez se débat avec les meubles qu'il n'arrive pas à faire entrer par la porte, trop étroite. L'espace sépare souvent Malek et Fayez, chacun dans son coin, habité par ses propres préoccupations. Les rares moments où on les voit réunis, sont ceux où ils échangent les pires méchancetés. La présence de musiciens sur scène est à double portée; ils jouent le rôle de la bande qui anime la soirée de noces et leur présence sert au metteur en scène d'exploiter l'habillage sonore de la pièce, ponctuant ainsi les moments de tension, de crise ou de complicité. El H'na de Ghanem Zrelli est une œuvre qui a tout fait pour suivre les normes brechtiennes de la distanciation. Un bel exercice qui se laisse voir sans aucun effort, grâce à la belle prestation des deux comédiens Néji Kanawati et Mariem Kaboudi.