D'habitude, un défilé, c'est un organisateur unique et des thèmes homogènes. Ce matin, 1er mai, il en ira différemment : plusieurs mouvements, courants et partis, appellent leurs troupes à manifester. Le ministère a d'ailleurs donné une troisième autorisation, in extremis, à la Confédération générale tunisienne du travail. Les mouvements ont des obédiences différentes, pour ne pas dire contradictoires. C'est la première fois qu'on verra des militants d'un parti au pouvoir (Ennahdha) défiler dans les rangs syndicalistes, un 1er mai. Différentes têtes d'affiche politiques accusent chacune la partie adverse de préparer un sabotage en bonne et due forme contre le défilé, allant jusqu'à affirmer que des T-shirts sont distribués et des consignes données à des troupes, voire à des milices, pour saboter et casser en infiltrant l'autre camp. Les défilés du 1er Mai garderont-ils un cachet syndical pur ? Qui aura le dernier mot, les syndicats, l'opposition ou le pouvoir ? Les défilés seront-ils cacophoniques ou bien y aura-t-il un minimum de discipline ? Le service d'ordre de l'Ugtt saura-t-il garder la maîtrise de la situation ? L'opposition pourra-t-elle s'exprimer ou bien l'unité nationale va-t-elle prévaloir ? C'est à 11h00 que s'ébranlera le défilé le plus attendu, celui de l'Ugtt. Il quittera la place Mohamed-Ali pour remonter l'avenue Habib-Bourguiba sur toute sa longueur. Prêts à tous les scénarios «Nous n'avons pas de commentaires à faire sur l'échange d'accusations entre les différentes parties», nous déclare M. Khaled Tarrouch, porte-parole de ce département. «Quant à l'organisation du défilé, nous révèle-t-il, il y a eu une coordination minutieuse avec les organisateurs qui auront leur service d'ordre». M. Tarrouch paraît confiant : «L'horaire, le déroulement et l'itinéraire ont été discutés en détail avec nos vis-à-vis et des accords ont été trouvés», déclare-t-il. «Les forces de l'ordre présentes ne feront que suivre de loin mais, garantit le porte-parole, elles seront prêtes à toutes les éventualités. Nous espérons que cette fête se déroulera dans les meilleures conditions possibles et espérons ne pas avoir à intervenir, mais ce sera le cas si jamais la sécurité des citoyens ou encore des biens publics ou privés se trouvait menacée». Le Pcot et Watad en point de mire Le Pcot nous déclare, par la voix d'un de ses dirigeants Jilani Hammami, que des éléments planifient le sabotage du défilé, en portant des signes distinctifs de son parti et celui du Watad, et que le chef du parti, Hamma Hammami, a prévenu le ministre de l'Intérieur, qui a pris les dispositions nécessaires, assure-t-il. M.Jilani ajoute cependant que son parti n'a accusé aucune partie en particulier d'être derrière ces éventuels perturbateurs. Simplement, des mesures ont été prises dans le cadre de son parti, telles que suivre les consignes de l'Ugtt et ne porter aucun signe politique partisan. Il va sans dire, prévient-il, que ceux qui porteront nos logos et couleurs ne seront pas des nôtres. Quant aux slogans qui seront affichés, ils peuvent se recouper avec ceux de l'Ugtt et porteront sur le Smig, l'emploi, le développement régional, la cherté de la vie et les négociations qui doivent impérativement commencer entre le gouvernement, l'Utica et l'Ugtt et ne devront en aucun cas s'éterniser, ajoute-t-il. Pour conclure, M. Hammami émet ses vœux que le défilé de ce 1er Mai soit une fête. La présence des militants d'Ennahdha ou des autres partis ne dérange pas en soi. En revanche, l'usage de la violence au détriment du dialogue représente une menace sérieuse qui pèse sur la sécurité du pays, conclut-il d'une voix grave. Du côté du parti Al Joumhouri, la consigne qui a été donnée aux militants et sympathisants est de porter des hauts de couleur blanche. Ce sera en principe leur seul signe distinctif. «Celui qui sabote le défilé est stupide politiquement» C'est ce que nous déclare sans ambages Lajmi Lourimi, membre du bureau politique d'Ennahdha. Pour lui, «il s'agirait d'un manque de responsabilité condamnable, indigne de la révolution. En revanche, nous sommes très confiants et constatons que l'opposition, de contestatrice, est en train de devenir constructive, de se regrouper et de véhiculer un programme et une vision, et nous lui souhaitons tout le succès». Quant aux éventuels dérapages, M. Lourimi ajoute qu'il y va de la responsabilité des partis d'encadrer leurs jeunes et de les orienter dans le bon sens. Est-ce que cela voudrait dire qu'Ennahdha souffrirait de l'existence de groupes de jeunes incontrôlables ? «Nous sommes un mouvement responsable et organisé et celui qui ne respecte pas ces fondamentaux n'a pas de place chez nous et ne doit s'affilier à aucun parti, de toute façon». Quant aux consignes de l'Ugtt, adressées aux autres parties, de ne formuler aucun slogan partisan, M. Lourimi, après avoir déclaré que l'Ugtt n'a pas à imposer quoi que ce soit, se rétracte pour annoncer que les recommandations de l'Ugtt seront respectées. «Nous espérons, conclut-il, que le monde qui regardera aujourd'hui la Tunisie, pays de la première révolution, verra un peuple fêtant cette fête internationale du Travail à l'unisson». L'Ugtt, «garant du caractère civil de l'Etat» Organisateur officiel du principal défilé du 1er Mai, l'Ugtt a appelé tous ceux qui souhaitent y prendre part à respecter le mot d'ordre, celui de ne se prévaloir d'aucun parti politique. Un mot d'ordre qui, sauf accident, sera suivi par tous. Mais encore, au regard des prises de position récentes de l'Ugtt, la centrale syndicale se positionne désormais sur l'échiquier politique comme un vis-à-vis, ou peut être le vis-à-vis du gouvernement. Dans un communiqué publié hier, l'Ugtt critique frontalement le gouvernement : «Dans le traitement des événements survenus dans le pays, le gouvernement recourt tantôt aux accusations, tantôt aux menaces, allant jusqu'à mener une campagne de dénigrement à l'encontre de la centrale syndicale lorsqu'elle a appelé au respect des conventions signées et s'est attachée à l'accomplissement de sa mission nationale et sociale dans la défense du caractère civil de l'Etat tunisien et du régime républicain». Dimanche, la page facebook officielle de l'Ugtt a publié cet étrange statut : «L'Ugtt, devant la carence des partis politiques d'opposition, a pris l'engagement d'être à côté de la société civile et du peuple tunisien dans sa diversité pour défendre, non seulement la masse ouvrière, mais aussi et surtout la République et ses institutions». Ainsi, le décor est planté : l'Ugtt, tout en réaffirmant son engagement à défendre les intérêts des travailleurs, se place aussi comme le garant «des fondamentaux et de la République et des institutions». De là, la symbolique du défilé du 1er Mai prend tout son sens. L'UTT contre la politisation du syndicalisme Cette politisation du 1er Mai ne trouve pas son répondant avec la position de l'Union des travailleurs tunisiens. Le secrétaire général adjoint, M. Abdelaziz Jaidi, nous déclare que cette fête est celle des ouvriers et ainsi elle restera. «Les membres de l'UTT, ouvriers, ce sont ceux-là que la fête met à l'honneur, et nous autres, à l'UTT, préférons nous limiter à ce concept», déclare-t-il. Le défilé qui aura pour point de départ le siège de l'UTT, à la rue d'Athènes, suivra le parcours vers l'avenue Mohamed-5 pour finir au Palais des congrès dans une fête musicale bien engagée. Le 1er Mai, voulu par tous comme une fête rassembleuse, ne portera pas moins les desseins et autres espérances des uns et des autres, électoraux, certes, mais aussi et surtout relevant tout simplement des nécessités du quotidien, dans la dignité et le vivre-ensemble.