Par Khaled TEBOURBI Le débat chauffe encore autour de la télévision publique. Autour des médias en général, appelons les choses par leur nom. Où est le problème? Pas tant, à vrai dire, dans les différences d'appréciation. Dans le giron du pouvoir, on juge l'attitude des journalistes «peu objective», ce à quoi nos confrères répondent «qu'ils font bien leur travail». Deux avis, deux points de vue : aucun mal, il en est ainsi dans les meilleures démocraties du monde. Pas davantage, non plus, dans la nécessité de réformer un secteur qui traîne les séquelles d'un régime corrompu. Sur cette question, que l'on sache, il y a unanimité. Le problème, le vrai, a rapport avec la liberté de la presse et l'indépendance des médias. Le problème est que derrière la façade «inoffensive» des appréciations et des opinions, ce sont cette liberté et cette indépendance que l'on prend peut-être pour cible. Au gré des élus? Les positions du gouvernement inspirent, surtout, inquiétude. Que veut dire, par exemple, que la télévision publique «doive se conformer à la volonté du peuple et aux objectifs de la révolution»? Le premier ministre l'a dit. Et son conseiller M.Lotfi Zitoun l'a confirmé. On ne comprend pas. Serait-ce que la télévision nationale, les médias publics en général ont pour obligation de s'aligner sur la ligne politique des gouvernements en place? Serait-ce que la volonté de l'ensemble des téléspectateurs tunisiens doive se confondre avec la seule volonté des électeurs d'une majorité? Les gouvernements et les politiques se succèdent et s'alternent en démocratie, devrait-on changer de journalistes à chaque changement de gouvernement et de politique? Qu'était, au surplus, le nombre des électeurs de l'actuelle majorité? Il ne dépassait pas le million et demi. Et les huit à neuf autres? N'auraient-ils pas droit au chapitre? Devraient-ils attendre les prochaines élections? Que l'on nous précise, par ailleurs, ce que sont les objectifs de la révolution? Sont-ce toujours ceux de la révolution du 14 janvier, ou ceux qui émergent, variablement depuis le vote du 23 octobre 2011? Un détail à ce propos : la révolution du 14 janvier appelait, en premier, à la liberté, est-ce ce que prônent et défendent, aujourd'hui, les vainqueurs du 23 octobre 2011 quand ils s'effarouchent, de la sorte, d'un journal télévisé et quand ils approuvent, s'ils ne les ont pas «téléguidés», des manifestations et des «sit-in» hostiles aux journalistes? Est-ce ce que recherchent certains, parmi eux, en préconisant de mettre, tout bonnement, en vente une télévision nationale? Convenons-en, en toute franchise: il est de moins en moins sûr que la Tunisie de la révolution corresponde tout à fait à la Tunisie sortie des urnes. Pour ce qui est de la liberté de la presse et de l'indépendance des médias, la Tunisie révolutionnaire ne laissait place a aucun doute, elle en faisait un mot d'ordre. La Tunisie des urnes, elle, s'applique de plus en plus à les remettre en cause. Nos inquiétudes sont parfaitement justifiées. Au gré des codes? Et ce n'est pas tout. Il s'entend ici et là, dans le giron du pouvoir, mais hélas aussi jusque parmi nos collègues, qu'un cadre juridique doit définir les règles de notre profession. Se peut-il encore? Des instances politiques décideraient ainsi de la façon dont nous exercerions notre métier. Autrement dit de nos garanties et de nos protections, mais aussi de nos «marges», et de nos «limites». Faut-il rappeler à nos élus comme à nous-mêmes, qu'ayant fait le choix de la démocratie, nous devrions, tous, conférer à la presse et à l'information leur absolue autonomie. La presse est le quatrième pouvoir démocratique. Elle ne dépend dans son exercice que de ses propres règles déontologiques. Pour le reste, elle n'a à répondre que devant le Droit commun. Les cadres juridiques et les codes spécifiques ne servent, en fin de compte, qu'à la contrôler et, éventuellement, à la mettre au pas. Les exemples abondent dans nos pays du sud. Souvenons-nous-en, soyons vigilants!