Par Soufiane Ben Farhat L'information est tombée avant-hier soir. M. Mustapha Ben Jaâfar a annoncé la composition de la commission d'enquête sur les événements du 9 avril 2012 dans la capitale. Le président de l'Assemblée nationale constituante s'est enfin prononcé sur la question. On imagine les conciliabules en coulisses pour parvenir à un tel accord. Parce qu'accord il y a. Et pour cause. Sur les 22 membres de la commission d'enquête, on dénombre neuf députés du mouvement Ennahdha. Les autres sont répartis entre différents groupes parlementaires, des listes partisanes ou indépendantes ou même des dissidents de telle ou telle formation. En somme, encore une fois, la mentalité des quotas a sévi. Et cela pose visiblement problème. Bien évidemment, on nous rétorque de prime abord que l'Assemblée est souveraine. L'erreur d'appréciation peut l'être aussi. Tout d'abord l'opportunité. Le gouvernement a déjà annoncé la création d'une commission d'enquête. N'y a-t-il pas dès lors possibilité d'aboutir à un conflit de compétences ou même d'appréciation entre les deux commissions ? Et quelles seraient les prérogatives de l'une et de l'autre ? Sont-elles appelées à agir de pair ? En cas de conflit, quelle instance saisir ? Forcément, en cas de conflit de liberté, le juge est appelé à trancher. Mais peut-on s'offrir ce luxe ici et maintenant ? Et si quelque instance civile ou associative décide, elle aussi, souverainement, de diligenter une enquête, que faire ? Y aurait-il quelque hiérarchie des normes préétablie entre les trois commissions ? Au sein de la Constituante intramuros, cela pose aussi problème. Charger vingt-deux personnes d'une commission d'enquête équivaut à trucider la commission avant même qu'elle n'ait commencé son travail. On connaît la parade : qui veut tuer un projet en charge une commission composée de plusieurs membres. Par ailleurs, la lecture attentive de la liste des membres de la commission d'enquête indique bien que les concertations ont été pointilleuses en coulisses. Il s'agit bien d'une espèce d'équilibre ténu, serpentant fragilement entre les différentes sensibilités, par-delà même les clivages apparents. C'est à se demander si la mise sur pied de cette commission n'est pas tant opérationnelle que soucieuse davantage de l'effet d'annonce. Entendons-nous bien : les heurts du 9 avril 2012 à l'avenue Habib-Bourguiba ont défrayé la chronique. Ils ont divisé l'opinion, n'épargnant guère les gens de même sensibilité ou obédience. Ils se sont inscrits d'emblée dans un avant (heurts du 7 avril) et un après (échauffourées d'el-Mallaha à Radès, suivies du pourrissement du sit-in devant les locaux de la télévision publique). D'où les véritables pommes de discorde apparues à la faveur et en marge des heurts du 9 avril. Depuis, c'est devenu un dossier à bien des égards brûlant. Et controversé. Particulièrement entre les partisans d'Ennahdha et les autres, y compris les partis alliés d'Ennahdha dans la Troïka gouvernementale. C'est comme si, en guise d'apaisement, on donne à la galerie quelque chose à se mettre sous la dent. Une attitude salvatrice parfois. Mais non moins populiste et, à terme, néfaste. Espérons qu'on n'en est guère à ce stade. A défaut de projet bien ficelé avec un exposé de motifs clair, les supputations vont bon train. C'est dans l'ordre des choses. Raison pour laquelle, les projets de loi sont toujours assortis d'un exposé de motifs et d'un rapport de la commission parlementaire concernée. En tout état de cause, les commissions d'enquête importent aussi par leur durée, leur deadline en quelque sorte. Et il serait vraiment aberrant que la commission livre ses attendus et son dispositif après de longs mois. C'est-à-dire à la veille des élections présidentielle et législatives escomptées. Et alors que la Constituante proprement dite serait en passe de disparaître. Dommage que cette commission n'ait pas été diligentée dans le domaine culturel. Auquel cas, on aurait parlé de flou artistique. En désespoir de cause.