Par Soufiane Ben Farhat A force de forger on devient forgeron. Maintenant, les jeux sont faits et le décor est planté. C'est devenu comme une vieille litanie. Toutes les fois que le gouvernement cale sur quelque dossier, il s'en prend aux médias. On les agite dans tous les sens. Si ce n'est pas comme épouvantail, du moins comme cache-misère. Récemment, ce furent les douloureux événements du 9 avril, avenue Habib-Bourguiba à Tunis. Pour les vrais coupables, on a promis des commissions d'enquête. Malgré les images, les aveux et les navrantes justifications. Le secteur de l'information, quant à lui, est désigné d'avance. Comme tout bon bouc émissaire qui se respecte. A en croire que ce sont les rédactions des journaux et des instances audiovisuelles qui ont fomenté et alimenté les échauffourées, heurts et confrontations sur le pavé sanglant de l'avenue. Encore une fois, les médias n'ont fait que refléter la réalité. Moyennant bien évidemment la décortication et la mise en perspective des faits. Mal leur en a pris. Derechef, les spécialistes de l'establishment dans la diabolisation et la démonisation des médias ressortent de leurs gonds. Enièmes salves contre les chevaliers de la plume. Et pourtant. Personne ne s'aviserait de constater sa propre turpitude. Le proverbe instruit bien que le chameau est incapable de voir sa bosse, autrement il se tord le cou. On aurait dû voir le désastre plutôt que de s'en prendre au doigt qui le pointe : violences, passages à tabac en règle, groupes de civils dont certains encagoulés s'en prenant à des manifestants, insultes et propos orduriers, traitement dégradant de civils. Autant d'ingrédients à proprement parler dangereux. Qui témoignent que le monde autour de nous épouse de nouvelles grimaces de la terreur, de la peur, de la laideur. On gagnerait à reconsidérer la dérégulation massive du marché de la violence sous nos cieux. Il s'agit en fait d'une question fondamentale, essentielle et cruciale. Lourde de conséquences même. Attendons les conclusions de la commission d'enquête, qui gagnerait à être impartiale et ne point traîner en longueur. Entre-temps, quelques questions s'imposent à brûle-pourpoint. Qui sont les civils encagoulés, barbus ou banalisés qui épaulaient les forces de sécurité ? L'un d'entre eux a bien reconnu sur les ondes qu'il n'est pas un milicien mais qu'il est «gardien de la révolution» ! Et qui seraient ces nouveaux pasdarans ? Qui les chapeaute ? Quels sont leurs rapports avec certaines sections de la police ? Les entretiennent-ils en toute transparence ou dans l'ombre ? Aurions-nous des forces de sécurité civiles ? Bien sûr, interroger n'est point incriminer. Mais la succession des faits et les faisceaux d'indices autorisent l'interrogation profonde. Et puis, nous ne sommes pas isolés. L'environnement géopolitique et géostratégique est à proprement parler explosif. Les événements de Libye et du Mali ont mis en lumière les dangers de la propagation massive des armes de poing, armes individuelles, kalachnikovs et missiles de tous genres parmi les populations civiles. En même temps, les vieux dispositifs de légitimation, de régulation et d'ordre ont sauté. Ce qui ouvre la voie à toutes les manipulations sur fond d'irruption de forces et mouvances nouvelles, dont certaines ouvertement terroristes. Sous nos cieux, la précarité sécuritaire est encore de mise. Il y a une espèce d'équilibre catastrophique. Toute irruption de groupes privés armés, para-policiers ou paramilitaires, pourrait s'avérer fatale pour tous. C'est là l'un des enseignements essentiels des événements du 9 avril 2012 à Tunis. L'éluder équivaut à retarder la prise en charge d'un dossier qui, au fil du temps et des occultations, n'en deviendra que plus explosif.