L'espace Sophonisbe accueillait vendredi après-midi une conférence de l'historien Hichem Djaït. L'occasion, c'est la sortie de son livre La vie de Muhammad, qui porte le sous-titre: Le parcours du Prophète à Médine et le triomphe de l'islam. Il s'agit en réalité du troisième livre d'une trilogie dont la première partie porte sur «la révélation et la prophétie» et la seconde sur la prédication à La Mecque. Un ensemble dont l'auteur n'est pas peu fier puisque, dans un moment de solennité, ou de sincérité solennelle, et au risque d'écorcher sa modestie, il déclarera à l'adresse de l'assistance qu'il ne connaît pas de livre sur le sujet qui soit meilleur que le sien. Mais il précisera immédiatement : son travail se distingue de la tradition de la «Sîra» représentée par Ibn Ishâq, tout autant que d'une approche critique de la vie du Prophète qui penche du côté de l'hostilité et qui a également ses représentants, aussi bien en Orient qu'en Occident. L'approche est celle de l'historien, sans a priori idéologique, qui puise dans les sources avec prudence, y compris dans le Coran lui-même — une référence privilégiée —, qui se laisse guider par le «critère de l'intelligibilité» pour reconstituer un récit des événements «sinon véridique du moins vraisemblable»... Le modèle de cette approche est à rechercher du côté de l'Ecossais Montgomery Watt. Il s'agit de comprendre la «dynamique» qui a porté l'islam au triomphe en très peu d'années, à travers les deux phases de la prédication et de l'action... Ce dernier livre de la trilogie porte justement sur l'action. Le Prophète se révèle comme un homme d'organisation, qui « vient à bout des oppositions »... L'auteur rappelle que la ville de Médine était loin d'être acquise à la cause du Prophète dans un premier temps, même si ce dernier bénéficiait de sympathie à l'égard de sa personne et à l'égard de sa religion, grâce en particulier au rôle d'arbitre qu'il a joué entre les habitants pour les aider à surmonter leurs problèmes de dettes de sang. Une grande partie, rappelle encore Hichem Djaït, restait païenne et proche des Juifs. Mais, petit à petit, les rangs des partisans grossissent et s'impliquent plus directement dans les combats armés qu'il mène au dehors... Le conférencier évoque ici la «Charte de Médine» qui, tout en réglant les problèmes de sans des Médinois, fonde la Umma : un document qui n'a pas été étudié à sa juste valeur, selon Djaït. La relation du Prophète avec les Juifs présente une importance incontestable. Elle est celle d'une déception. Car le Prophète pensait qu'il trouverait auprès de ces tenants du monothéisme un soutien face aux polythéistes. Or il se rend compte que son offre est rejetée. Cette déception est plus médinoise que mecquoise. Le Prophète a même à faire face à un travail de sape de la part des Juifs de la ville, dont certains apportent un soutien aux ennemis de l'islam. Cela va se traduire en fin de compte, en l'an 5, par l'expulsion des Juifs de Médine. Une action qui se place dans le cadre d'un «revirement» à la faveur duquel le Prophète se tourne désormais vers les Arabes et réinvestit l'héritage religieux local de manière à en faire le lieu d'un « monothéisme primordial », celui d'Abraham, le père des Arabes... C'est ainsi que la Kaaba, de centre polythéiste, devient un centre du monothéisme... L'incursion dans ces événements sous la plume ou la parole de l'historien fait en tout cas justice au droit de comprendre, face aux exigences de la croyance... Il est surprenant de voir que, finalement, il y a tant à apprendre de cette période qui fonde pourtant l'identité religieuse de la Tunisie. Ecouter parler Hichem Djaït est en tout cas quelque chose qui nous en convainc.