Joséphine Frantzen : rapprocher la Tunisie et les Pays-Bas, un engagement de chaque instant    Grève annulée à la CTN : un accord in extremis entre le ministère et le syndicat    Conseil des ministres à Carthage : Cap sur les lois et les priorités nationales    Kaïs Saïed, Ons Jabeur, Ennahdha et Hizb Ettahrir…Les 5 infos de la journée    Pluies persistantes à Tunis : L'Observatoire national de la sécurité routière appelle à la vigilance maximale    A-t-on pensé à l'emploi dans le projet de plan 2026-2030 ?    Abir Moussi : la défense dénonce une réduction arbitraire des visites    Panne sur le réseau principal : plusieurs régions de Sousse privées d'eau    Mohamed Kouki nommé nouvel entraîneur du Club Sportif Sfaxien    Zied El Heni appelle à une action de solidarité avec l'Iran : face à l'agression, je choisis la résistance !    Entité sioniste/Iran : Trump se laisse deux semaines pour décider ou non d'impliquer les USA    Béja : 120 hectares de céréales détruits par des incendies récents    US Monastir : Faouzi Benzarti confirmé pour la saison prochaine    L'Iran frappe de nouveau : nouvelle salve de missiles contre le nord de l'entité sioniste    Elyes Ghariani - Désinformation et intérêts cachés : comment l'Occident façonne la géopolitique de l'Irak à l'Iran    Pourquoi les Tunisiens à l'étranger choisissent toujours Hammamet et … Djerba ?    L'Iran frappe le cœur du renseignement sioniste    Berlin Ons Jabeur en quarts de finale face à Markéta Vondroušová    Lutte contre les criquets pèlerins : la Tunisie reçoit un appui régional et international    Huawei dévoile ses innovations pour moderniser le secteur financier tunisien    Skylight Garage Studio : le concours qui met en valeur les talents émergents de l'industrie audiovisuelle    Festival Au Pays des Enfants à Tunis : une 2e édition exceptionnelle du 26 au 29 juin 2025 (programme)    WTA Berlin : Ons Jabeur en demi-finales en double et en quarts en simple    Tunisair - Evolution des indicateurs de l'activité commerciale pour avril et mai 2025    Les Tunisiens en Iran sont en sécurité, assure le ministère des Affaires étrangères    Prolifération d'algues au large de Monastir : Hamdi Hached alerte sur un phénomène inquiétant    Découvrez l'heure et les chaînes de diffusion du quart de finale en double d'Ons Jabeur    Météo en Tunisie : des pluies attendues sur plusieurs régions    ARESSE, une initiative pour relever les défis environnementaux    33.000 élèves passent aujourd'hui le concours de la neuvième    L'OACA lance des cartes de parking électroniques à l'aéroport Tunis-Carthage !    Un hôpital touché en Israël et 47 blessés par des tirs iraniens, Netanyahu menace Khamenei    Le Palais de Justice de Tunis: Aux origines d'un monument et d'une institution    Bassem Ennaifer : vers une croissance de 3,9% en 2027    Caravane Al Soumoud 2.0 en préparation : Ghassen Henchiri annonce une suite à l'initiative    Hasna Jiballah loin de ses objectifs, l'échec cuisant des sociétés communautaires    Kaïs Saïed appelle à soutenir les conseils locaux et à lutter contre les réseaux de spéculation    Le Chef de l'Etat reçoit le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l'étranger : Le front diplomatique au service de la libération nationale    Fonction publique et institutions : L'heure du tri et de la restructuration    Skylight Garage Studio : Le concours qui met en valeur les talents émergents de l'industrie audiovisuelle    Salon international de la céramique contemporaine du 20 juin au 15 juillet 2025 à la médina de Tunis    Ons Jabeur bat Jasmine Paolini et se qualifie pour les quarts de finale du WTA 500 de Berlin    Fête de la musique - L'orchestre fête la musique: Pôle musique et Opéra    Tunisie : Fin officielle de la sous-traitance dans le secteur public et dissolution d'Itissalia Services    Il y un an Khémais Khayati nous quittait : la liberté à hauteur d'homme    Ridha Lamouri: Le galeriste passionné    beIN MEDIA GROUP prolonge ses droits exclusifs de diffusion de la Premier League jusqu'en 2028    La Tunisie mobilise les soutiens en faveur de son candidat l'ambassadeur Sabri Bachtobji, à la tête de l'Organisation Internationale pour l'Interdiction des Armes Chimiques (OIAC)    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Révélation, interprétation, émancipation
Débats et combats
Publié dans Le Temps le 01 - 06 - 2010

Dès le stade coranique (610- 632), la mise en place de l'islam apparaît comme un processus historique subversif qui touche toutes les conditions et tous les niveaux de déploiement de l'existence humaine en ce temps et en cette région de l'Arabie nommée Hijâz. La réception croyante de la Révélation se heurtait à plusieurs oppositions de ceux qui étaient la cible première d'une polémique continue : les associateurs ou polythéistes (mushrikûn), les hypocrites versatiles (munâfiqûn) qui affichent un islam formel pour le rejeter à la première occasion favorable et les gens du Livre rangés dans la catégorie de ceux qui ont reçu antérieurement des fragments de révélation, mais qui refusent à entrer dans la Nouvelle Alliance proposée dans le Coran.
Ces tensions et polémiques aboutiront à une rupture théologico-politique définitive : « vous avez votre religion et j'ai la mienne » dit la sourate cent neuf Les mécréants (infidèles à l'alliance) ; la sourate 98 intitulée La preuve manifeste est médinoise et étend la rupture aux gens du Livre eux-mêmes. Ainsi se précise la distinction entre muslim et mûmin : celui qui déclare formellement l'adhésion à l'islam naissant et celui qui déclare sa foi, sa confiance irréversible dans l'alliance (‘ahd, mîthâq) avec le vrai Dieu Allah. La Parole de Dieu est opposée à toutes les catégories de négateurs comme La preuve manifeste décisive qui abolit toutes les formes antérieures d'alliance avec les divinités. On retiendra donc au stade coranique l'insistance sur la distinction fondatrice entre la foi (imân) et islâm dont on va préciser l'évolution au stade coranique.
Aux origines du terme islâm
Que nous apprend l'analyse philologique du Coran comme texte sur le terme arabe islâm ? En 1972, M. M. Bravmann a réuni dans un livre intitulé The spiritual Back ground of Early Islam. Studies in Ancient Arab concepts, quatorze articles publiés entre 1945 et 1971. Ce travail est très représentatif de la lecture philologique et historiciste appliquée dès les XVIIeme-XVIIIeme siècles en Europe à l'étude critique des textes bibliques et évangéliques. L'arabisant allemand Théodore Noeldeke à étendu cette science à l'histoire du texte coranique. Taha Hussein a essayé de l'appliquer à l'étude de la poésie antéislamique pour enrichir la connaissance historique du lexique coranique. Les gardiens de l'orthodoxie à Al-azhar ont stoppé cette initiative et nous sommes privés jusqu'à nos jours d'un Dictionnaire historique de la langue coranique. Si ce dictionnaire avait vu le jour depuis les années 1930, la connaissance du Coran et l'évolution de l'islam n'aurait jamais connu les malversations dont ils font l'objet depuis les années trente.
Bravmann s'efforce de retrouver les contenus contemporains du Coran des termes islâm, îmân, dîn, dunyâ, sunna, sîra,‘ilm, bay‘a, etc. Cette terminologie est fondatrice dans le discours coranique, car elle engage à la fois l'autorité spirituelle de la Révélation et des enjeux politiques, juridique et sociaux. La différenciation entre l'autorité du spirituel et le pouvoir qui sera exercé par les califes sera reprise par les théologiens et les juristes dès les premiers débats qui ont eu lieu entre les clans des Banû Hachim et des Banû Sufyân pour assurer la succession du prophète disparu. M. Bravmann nous assure que le mot islâm a signifié défier la mort, faire le sacrifice de sa vie pour une noble aspiration : défendre son honneur, se donner sans condition à Dieu. Ces deux motivations ne peuvent être traitées sur le même plan. Mourir pour l'honneur (‘ird) du clan, parce que la solidarité mécanique du groupe le commande, apparaît dans le Coran à la fois comme un tremplin pour substituer la quête de Dieu à l'attachement au clan et comme un obstacle à cette opération de substitution. Les versets 14 et 17 de la sourate 49 dévoilent l'usage trompeur de la mort défiée en opposant un islâm stigmatisé comme une adhésion extérieure, tactique et révocable, à l'intériorisation profonde et irréversible des termes de l'Alliance liant la créature au Créateur. Cette intériorisation est nommée îmân, terme connotant les valeurs de fidélité, loyauté, engagement du cœur à respecter scrupuleusement toutes les conditions stipulées dans l'Alliance. Le terme français foi renvoie aux mêmes vertus régulatrices de la confiance totale échangée. Les mystiques travailleront l'imân dans cette direction de la réciprocité des consciences et des cœurs. Ce travail de différenciation entre islâm et îmân est conduit avec insistance dans plusieurs contextes référant à des conduites concrètes des vrais fidèles (mûminûn) et des croyants peu ou pas fiables. Voici quelques statistiques éclairantes. Le verbe aslama intervient 22 fois, notamment dans l'expression aslama wajhahu lillâh, faire don de sa personne à Dieu seul ; muslim, muslimûn trente neuf fois dont 2 seulement pour muslimât (féminin); la forme islâm 7 fois seulement ; le contraste est frappant avec îmân 17 fois, âmanû 258, mûminûn 166 dont 19 pour mûminât. L'islam comme sacrifice de sa vie demeure toujours exigé puisque ceux qui évitent d'aller au combat sont dénoncés selon le code de l'honneur qui opposait courage, vaillance, désir de mourir en héros à lâcheté, couardise, trahison, fuite du combat (qa‘ada).
Au fondement de la foi
On notera que ces précisions tranchées sur islâm et îmân et les conditions du jihâd pour Dieu, apparaissent dans deux sourates tardives : la 49 classée 106e et la 9 classée 113e. Le travail des deux concepts tout au long de la « révélation » a dépendu des contextes et des protagonistes changeants de La Mekke à Médine. Face aux associationnistes (mushrikûn) de La Mekke, il s'agissait de fonder la foi en un Dieu unique ; face aux opposants juifs de Médine (al-rabbâniyyûn), il fallait reconstruire un récit de fondation de la nouvelle communauté religieuse pour l'insérer dans la continuité « spirituelle » de la longue lignée biblique des prophètes avec les trois maillons fondateurs : Abraham, Moïse et Jésus fils de Marie.
C'est dans le travail de réappropriation « islamique » de ces grandes figures religieuses que la religion émergente prend la dimension d'un espace religieux propre à une communauté peu à peu différenciée des communautés concurrentes sommées d'entrer dans une rivalité mimétique pour s'assurer le contrôle exclusif d'un même capital symbolique centré sur le panthéon mekkois pour les associationnistes, sur l'antériorité biblique de la révélation pour les juifs et les chrétiens. Pour retravailler la Figure initiale d'Abraham, le Coran utilise le terme millat Ibrâhîm plutôt qu'islâm encore en voie de construction. Milla désigne un groupe dont les membres partagent nécessairement les mêmes croyances ; le terme sera repris avec le même sens pour désigner les diverses communautés confessionnelles de l'Empire ottoman. Dans le verset 67 de la sourate 3, Abraham est rattaché à la religion pure de toute déviation, le Hanifisme : « Abraham n'est ni juif, ni chrétien, mais un hanîf muslim ». Muslim, dans ce contexte de construction d'une version corrigée, redressée, de l'histoire des « peuples du Livre », version bien différenciée de celles « altérées » des juifs et des chrétiens, ne peut être traduit par musulman tant que le statut de ce qui deviendra l'islam ne sera pas socialement et doctrinalement élaboré. Au stade abrahamique retravaillé par le Coran, il s'agit bien de cette soumission intériorisée par le cœur comme engagement de la foi dans l'Alliance avec Dieu. Dans les versets souvent cités « La religion au regard d'Allah, c'est l'islâm » (3,19) ; « Vouloir professer une religion autre que l'islâm, ne sera pas accepté » (3,85), il faut garder au terme islâm ce sens fondateur d'une attitude religieuse d'acceptation du Vouloir divin que symbolisent idéalement toutes les conduites de l'Ibrâhîm coranique ; consacrer à ce stade l'équivalence de l'islâm abrahamique avec celui que construiront plus tard les sciences et les institutions dites islamiques, c'est rejeter dans l'impensable tous les problèmes liés au passage de « l'expérience humaine du divin » (titre d'un ouvrage de M. Meslin) à la religion institutionnalisée, ritualisée, orthodoxisée par « les gestionnaires du sacré ». C'est pour éviter ce saut dans l'instrumentalisation idéologique du fait religieux que je préfère parler de religion émergente au stade du discours coranique en voie d'énonciation.
Bravmann interroge les étymologies d'un vocabulaire coranique dont la principale préoccupation est de retravailler le lexique arabe pour exprimer de nouvelles notions et introduire de nouveaux horizons de sens. Les étymologies sont à utiliser avec précaution, car elles peuvent voiler les apports du travail coranique des concepts. On doit se méfier des significations fossilisées, mal reliées au continuum vivant d'une langue et d'une société que le discours coranique vise à effacer pour faire place à la conceptualisation du Dieu unique nommée Allah.
Aujourd'hui, on s'oriente vers une histoire sociale, politique et culturelle qui permettrait enfin une lecture historique et anthropologique du Coran. Viser un tel objectif est en soi un immense progrès dans l'approche critique et explicative, non plus seulement d'une religion naissante, mais d'un moment et d'un paradigme de la créativité des hommes en lutte pour leur émancipation.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.