Par Abdelhamid Gmati Après un an et demi de Révolution, on est en droit de s'interroger : où en est la Tunisie? Qu'a-t-on fait et qu'est-ce qui reste à faire ? Vaste programme. Force est de constater que les Tunisiens sont dans l'incertitude, déçus, voire inquiets. Ce ne sont pas les journalistes qui le disent mais les faits qui le traduisent. C'est une évidence que le pays est en crise et le mécontentement général. Ceux qui avaient fait la Révolution pour des raisons essentiellement socioéconomiques, pensant que chasser un dictateur allait contribuer à améliorer leurs conditions de vie, ne voient rien venir et ils se retrouvent dans une situation qui s'est détériorée. Ils sont las d'attendre un mieux-être qui ne vient pas et ils en ont ras-le-bol. Et ils l'expriment de plus en plus, sur le terrain et tous les jours. Le représentant du ministère de la Défense nationale est explicite à cet égard : au cours du mois de mai, on a compté 15 sit-in par jour (contre 5 au mois d'avril) ; on a coupé des routes 8 fois par jour (4 en avril) et les grèves générales, intéressant des villes entières, ont également augmenté (10 par jour en mai contre 5 en avril). Et pratiquement, tous les secteurs, toutes les composantes de la population s'y mettent, les chômeurs, les laissés-pour- compte, les travailleurs, les salariés, les syndicalistes et même les enseignants et les magistrats. La grogne est générale et ce ne sont pas les récents convois ministériels, improvisés, dépêchés en urgence dans certains gouvernorats pour faire des promesses (comme il y a quelques mois), qui y changent quelque chose. L'économie est la priorité des Tunisiens ; or, l'économie va mal et son état ne semble pas s'améliorer. Ce qu'atteste, entre autres, la récente dégradation de la note tunisienne par l'agence de notation Standard & Poor's. N'en déplaise à certains membres des partis au pouvoir qui, comme d'habitude s'en prennent au messager au lieu d'étudier le message (mise en doute de la crédibilité de l'agence), cette dégradation risque de dissuader les investisseurs (étrangers ou tunisiens), au moment où on en a le plus besoin pour financer des projets, créer des emplois et relancer l'économie. Après l'économie, les Tunisiens se préoccupent de la sécurité et ils s'inquiètent. Régulièrement, des groupes, identifiés comme salafistes, s'en prennent à des commerçants, des établissements publics et privés, s'attaquent même à des agents de l'ordre et à leurs sièges. Ils usent et abusent de violence extrême, incendient, détruisent, insultent, frappent, appellent au meurtre et imposent leur loi. Impunément et ce, depuis des semaines. Sous l'œil bienveillant du gouvernement. Certes, de temps en temps, le ministère de l'Intérieur affirme que « la loi sera appliquée contre toute atteinte à la sécurité et au bien-être des citoyens », mais on ne voit rien venir, et les salafistes continuent à sévir à travers tout le pays. Côté politique, on continue à nager dans le flou. Les élus de la Constituante se préoccupent de leurs propres salaires et indemnités, débattent sans fin de questions économiques, de terrains agricoles, d'affaires de corruption, de sujets qui ne font pas partie de leur mandat, oubliant leur raison d'être, à savoir la rédaction de la nouvelle Constitution. Et on a l'impression qu'ils travaillent surtout à prolonger leur mandat. Idem pour le gouvernement qui passe son temps à accuser les uns et les autres de complot et à chercher des boucs émissaires à son incompétence ; entre-temps, le parti majoritaire au pouvoir multiplie les nominations, plaçant ses membres partout dans les administrations et les entreprises nationales et régionales, et amusant la galerie avec des faux problèmes et des débats fallacieux. Au point que même certains conseillers du président de la République critiquent et demandent de changer ce gouvernement. Deux des partis de la Troïka, qui nous gouverne, se perdent en scissions et en déchirures et les partis de l'opposition n'en finissent pas de chercher des fusions et des alliances. Tout cela fait désordre et gabegie. Alors qu'on nourrissait des espoirs et qu'on se surprenait à faire des rêves fous, de liberté, de démocratie, de progrès et de bien-être, on se retrouve dans la désillusion, le gâchis, l'inquiétude. Inutile de jeter la pierre aux uns ou aux autres, c'est contre-productif. La Tunisie, c'est notre affaire à tous. Il faut réagir. Ne serait-ce que pour ne pas avoir à répondre à cette terrible question de nos enfants : « Papa, qu'as-tu fait de la Révolution ? ».