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«Même les premiers responsables sont en train d'être manipulés en Tunisie» Interview - M. Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, à La Presse
• La BCT n'évolue pas dans un univers fermé. Ce qu'elle fait tant au niveau intérieur qu'extérieur fait l'objet d'une coordination permanente avec le gouvernement • M. Nabli : «Je suis prêt à quitter mon poste le jour même où on fournira la preuve de mon manquement à mes devoirs envers la Tunisie» • Situation économique : «Il faut arrêter de lire tout à travers le prisme politicien» • Restitution des fonds pillés par le clan Ben Ali et Trabelsi : blocage et refus de collaboration des autorités judiciaires des pays européens et du Golfe Depuis que l'idée de l'indépendance de la Banque centrale de Tunisie (BCT) avait été lancée, son gouverneur, M. Mustapha Kamel Nabli, n'a cessé de faire l'objet de critiques, parfois acerbes, sur sa gestion d'une institution de premier ordre, sur l'appréciation jugée excessive que fait la BCT de l'activité économique dans le pays, sur sa responsabilité directe dans la dégradation de deux crans de la note souveraine de la Tunisie par Standard and Poor's et sur l'opacité qui entoure sa gestion du dossier de la restitution des fonds pillés par le clan Ben Ali et Trabelsi. Pour ces raisons et pour bien d'autres, toute une polémique n'a cessé d'enfler ces derniers temps sur la personne du gouverneur de la Banque centrale , polémique qui a culminé par la déclaration du président de la République à une chaîne de télévision sur son probable éviction. Sur toutes ces questions, M. Nabli apporte des réponses claires et directes en considérant que la polémique que certaines parties ont animée relève parfois de la diffamation et de la manipulation. «Même les premiers responsables sont en train d'être manipulés par certains en Tunisie», affirme M. Nabli. L'indépendance de la BCT a été la première question qui a altéré le climat de confiance entre le premier responsable de cette institution et les membres de la Troïka au pouvoir, au point qu'une question lancinante n'a cessé d'être posée : l'indépendance de la Banque est-elle incompatible avec la coordination avec le gouvernement ? «Pas du tout,» rétorque M. Nabli. «L'indépendance n'exclut pas la coordination». La BCT n'évolue pas dans un univers fermé. Ce qu'elle fait tant au niveau intérieur qu'extérieur fait l'objet d'une coordination permanente avec le gouvernement qui concerne les différents aspects de la politique économique, monétaire, bancaire, budgétaire ou autres. La question de fond, estime-t-il, «n'est pas de soumettre la politique monétaire aux préoccupations politiques seulement». La décision de la politique monétaire doit se faire par les instances de la BCT sans être imposées. «Jusqu'à aujourd'hui, précise-t-il, on n'a jamais été interpellé par le gouvernement sur un aspect de politique sur lequel il y a un différend». Concrètement, ajoute M. Nabli, il n'y a jamais eu de différend exprimé sur un aspect de la politique monétaire ou bancaire, dossiers faisant l'objet d'une concertation étroite avec le ministre des Finances ou le chef du gouvernement. «Irresponsable, inacceptable» Sur un autre registre, prétendre que le gouverneur de la BCT a été de peu de secours pour la Tunisie auprès des institutions financières internationales dans sa quête de financements adéquats est, selon M. Nabli, «irresponsable et inacceptable». Remettre en cause le patriotisme et le nationalisme de sa personne relève tout simplement de la diffamation qu'il rejette totalement. «Je suis prêt à quitter mon poste le jour même où on fournira la preuve de mon manquement à mes devoirs envers la Tunisie», répond M. Nabli. L'autre question qui fâche a trait à la dégradation de la notation souveraine de la Tunisie et la responsabilité qu'incombe à la BCT dans cette affaire. Tout en considérant comme excessive cette dégradation, puisque, selon lui, «on ne baisse pas de deux crans de façon abrupte la notation de la Tunisie pour des considérations non suffisamment motivées». Prétendre, par contre, que cette dégradation est une manipulation, c'est une autre paire de manches. Les gens profitent de toutes les occasions pour diffuser des contre-vérités et trouver des boucs émissaires. «Même les premiers responsables sont en train d'être manipulés en Tunisie», affirme-t-il. Pourtant, dans d'autres pays qui fonctionnent normalement, une dégradation est perçue comme un problème national auquel tout le monde doit trouver des solutions. Il est vrai que la notation implique le processus politique, les questions économiques, budgétaires, bancaires et de sécurité. C'est, en somme, une appréciation sur l'ensemble des performances de la Tunisie et sa capacité à honorer ses engagements à terme. Arrêter de lire tout à travers le prisme politicien Taxée, à tort ou à raison, d'alarmiste dans son appréciation de la situation économique dans le pays, la BCT se défend, estimant que son objectif n'est pas d'être optimiste ou pessimiste, mais d'établir un diagnostic juste de la situation. «Si on fait un mauvais diagnostic, il ne sera pas facile, pour nous, d'apporter le traitement adéquat», fait savoir M. Nabli. Et d'ajouter que si le pessimisme a été souvent présent, c'est parce que le pays est passé par une période où l'économie a été en difficulté la plupart du temps. Le devoir de la BCT n'est-il pas de faire des diagnostics qui soient les plus objectifs possibles, d'attirer l'attention et de préparer les décisions qui s'imposent ? Pour cela, lance-t-il, «il faut arrêter de lire tout à travers le prisme politicien». La spirale de la violence qui se poursuit dans le pays n'est pas propre à améliorer la donne, loin s'en faut. Ce qui s'est passé cette semaine est considéré comme assez sérieux, renvoyant une image négative de la Tunisie. C'est une situation qui risque de faire avorter la reprise du secteur touristique, de décourager les intentions d'investissement et de réduire notre capacité à nous financer à l'étranger. Cela implique, estime le gouverneur de la BCT, «de faire attention en trouvant des traitements efficaces qui permettent de restaurer la paix sociale et la sécurité dans le pays». A contrario, le pays risque de faire face à des situations plus difficiles Dans un tel climat délétère, le fait que le gouverneur de la BCT se présente devant la commission des finances de l'Assemblée nationale constituante le 19 juin 2012 peut-il prendre l'allure d'une audition ? «Non», répond M. Nabli. La BCT a demandé depuis mars dernier d'organiser un mécanisme par lequel elle pourra présenter sa politique monétaire et bancaire devant les instances représentatives à l'effet de mesurer leur réaction et d'avoir leur appréciation. Instaurer les pratiques de la bonne gouvernance suppose dans le cas d'espèce d'offrir l'occasion à la BCT de présenter ce qu'elle a fait et ce qu'elle compte entreprendre et d'écouter les réactions des représentants du peuple. «Parler d'indépendance de la BCT n'est pas en contradiction avec son devoir de rendre compte de tout ce qu'elle fait devant les instances représentatives». Blocage et refus d'information L'autre dossier qui préoccupe a trait à la lenteur qui entoure le processus de restitution des fonds pillés par le clan Ben Ali et Trabelsi. La dernière réunion qui a eu lieu les 11 et 12 juin dernier à Bruxelles sur la coopération judiciaire entre la Tunisie et les pays où ces fonds sont déposés a été un échec total. Pour les douze magistrats tunisiens en charge de ces dossiers et qui ont fait le déplacement en Belgique, la surprise a été désagréable. Allant dans l'intention de faire le point sur la situation et les moyens d'accélérer le traitement de ces dossiers, ils n'ont pas trouvé devant eux d'interlocuteurs avec qui discuter ou échanger des informations. Il semble que la priorité et l'importance n'ont pas encore été données à ces dossiers dans les pays européens et même ceux du Golfe. C'est ce qui a fait dire à M. Nabli qu'il y a «un écart énorme entre le discours politique soutenant le rapatriement des avoirs et l'action concrète et pratique des services des autorités judiciaires dans ces pays». Résultat: ce dossier risque de traîner encore. Ce blocage s'explique par le fait que «la priorité politique n'est pas donnée et les moyens ne sont pas mis en place pour traiter le dossier tunisien conformément aux conventions internationales qui permettent à ces pays de prendre des mesures, même de leur propre initiative». Tel n'est pas le cas aujourd'hui pour le dossier de restitution des fonds détournés. Le manque de collaboration et de bonne volonté fait qu'on n'est actuellement pas bien édifiés sur l'avancement de ce dossier. La passivité dont font preuve les autorités judiciaires dans les pays européens, notamment, a rendu caduque toute réponse aux demandes d'information formulées. Difficile dans ces conditions de sortir du cercle vicieux à défaut de voir «ces pays mettre leurs déclarations politiques en conformité avec l'action».