Par Ali Chebbi Ce mardi 24, alors que l'Institut National de la Statistique venait d'afficher un retour de l'activité économique à son rythme presque habituel de croissance au taux de 1,2% à prix constants (par rapport au dernier trimestre de 2011) et de 4,8% selon un glissement annuel, Standard & Poor's révisait à la baisse sa perception pour d'éventuelles voies de sortie. A propos du climat des affaires, les indices montrent par exemple que les IDE ont progressé pour revenir au rythme de 2010 et qu'une relance, bien perfectible, des investissements et de l'emploi est en cours. De surcroît, le récent rapport d'évaluation du FMI sur la situation économique du pays était plutôt favorable, ajoutait Christine Lagarde. Des appréciations contradictoires sur les perspectives de l'économie tunisienne pour un rétablissement de la situation nous mènent à nous poser les questions suivantes : que signifie la notation de S&P ? Quelles en sont les conséquences ? Quelles perspectives pour l'économie tunisienne dans le moyen terme ? Il s'agit d'agences de notation calculant un indice exprimant des opinions d'ordre prospectif sur la capacité et la volonté d'un Etat-émetteur d'honorer ses engagements sur les marchés financiers internationaux. Quand l'indice se dégrade, les emprunteurs sur les marchés financiers internationaux exigent alors un taux d'intérêt plus élevé et une prime de risque additionnelle. Quand la situation est jugée imparable (à très haut risque), l'accès aux marchés devient impossible. Pour les perspectives de long terme, la notation de Standard & Poor's classe ses opinions selon des catégories allant d'une notation de type AAA (i.e ; la capacité du débiteur à respecter son engagement financier est extrêmement forte.), jusqu'à une notation de type SD (défaut sélectif) et D (défaut tout court). Les conséquences directes de la dégradation de la notation ne se traduisent pas seulement par un durcissement des conditions de l'endettement sur les marchés financiers internationaux, mais aussi par l'appréciation des bailleurs de fonds, principaux vis-à-vis des dettes multilatérales et bilatérales. Enfin, quand il s'agit de la notation souveraine, le classement rend compte de la capacité productive et institutionnelle de l'Economie dont l'Etat est le principal acteur. Les critères sur lesquels l'agence a exprimé son opinion sont essentiellement les risques qu'une économie (ici l'Etat) présente quant au paiement de ses crédits sur les marchés financiers. Ces risques sont liés aux perspectives de relance économique, aux perspectives de stabilité institutionnelles et aux perspectives sociopolitiques. La notation de BB annoncée le mardi 23 mai 2012 synthétise les conséquences de ces trois facteurs de risque sur l'investissement et la création de richesses et d'emplois. Certes, cette dégradation de notation serait le résultat de l'observation, sur le plan socioéconomique et politique, de la fragilité institutionnelle, du freinage de l'activité productive et de l'inefficacité de la politique monétaire à tous égards, ainsi que la lenteur des réformes nécessaires concernant le système bancaire. S'ajoute à ces facteurs de risque de défaut de paiement de la dette souveraine la menace d'instabilité politique. Avant d'analyser les raisons pour lesquelles cette dégradation de notation, qui n'est pas si dramatique que le prétendent quelques analystes (puisque BB veut dire que la situation est la plus mauvaise des meilleures catégories), a été annoncée, il serait utile de rappeler que cette notation est uniquement technique et ne s'insère pas dans un contexte de révolution occasionnant des coûts d'ajustement nécessaires et ayant inspiré le peuple tunisien à opter pour la refonte du système. Cette notation signale vers la fin de son rapport que, sur le plan politique, l'approbation par référendum du projet de Constitution et l'organisation datée d'élections permettrait de donner plus de visibilité et d'assise institutionnelle pour la définition et le pilotage de la politique économique. Ces décisions annoncées pourraient amener l'agence de notation à réviser à la hausse le classement de la dette tunisienne. Cependant, sur le plan de la politique économique de court terme, il faudrait rappeler les effets de ses deux principales composantes sur le climat des affaires ayant permis à l'agence la dégradation de la notation. L'autorité budgétaire a opté pour un budget complémentaire qui répond aux conditions retenues par les instances financières internationales et c'est une première en Tunisie. Il s'agit en fait d'une meilleure allocation budgétaire, d'un cadrage macroéconomique, d'une viabilité de la dette et une soutenabilité des équilibres macroéconomiques. Les équipes des experts du FMI, de la BAD et du Commonwealth étaient respectivement satisfaites de la qualité du travail qui reste toujours perfectible. En revanche, des limites suggérées par le budget complémentaire lui-même sont toujours surmontables. Quant à l'autorité monétaire, nous avons assisté à des communiqués répétitifs, souvent contradictoires, montrant l'absence de l'implication de la BCT dans la politique macroéconomique et semant la panique chez les investisseurs. Nous nous interrogeons aussi sur le thème de l'indépendance de la BCT dans un timing inapproprié (depuis que le pays était sans gouvernement, sans perceptions communes sur les institutions financières et monétaires) sans que des précisions professionnelles ne soient annoncées et souvent de manière non-contextualisée. Ayant fait abstraction, omis ou négligé les recommandations envoyées depuis novembre 2011 par cette même agence de notation (Standard & Poor's) portant sur un package de réformes que la BCT devrait entamer, la conduite de la BCT s'est caractérisée par une lenteur manifeste en vue d'établir des règles de bonne gouvernance repêchant le système bancaire. Au contraire, la BCT s'est limitée à annoncer des perceptions très générales quand des occasions non-officielles se présentent (séminaire organisé par l'Ordre des experts, par l'APB, par les anciens de l'Université...). Nous notons aussi la lenteur manifeste dans le traitement des dossiers de corruption et les auteurs responsables relevant des banques publiques. Enfin, avec une politique monétaire désormais sans perspectives d'efficacité dans le court terme, rendant le système bancaire avare eu égard à l'appareil productif, vecteur de la relance envisagée dans le budget de l'Etat, nous ne voyons pas de possibilité de perspectives pour l'assainissement de la macroéconomie tunisienne. Ce handicap, s'ajoutant aux difficultés attendues liées aux taux d'exécution du budget et les effets d'annonce non toujours fondés de la part de l'opposition, serait à même de laisser l'agence de notation se fixer sur des perspectives pessimistes. Que faire ? Etant donné que la situation n'est pas si dramatique, mais risquerait de le devenir, il est impératif de rétablir la sécurité dans les régions et que les perturbations de l'activité se réduisent. Il serait tout aussi impératif d'annoncer une réforme institutionnelle portant sur le système bancaire et se traduisant d'abord par une coordination avec les autorités budgétaires. Cela calmerait les esprits des investisseurs, et ferait démarrer immédiatement et de manière médiatisée les projets abrités par le secteur public. Il serait également tout aussi impératif d'annoncer une réforme du Code d'incitation aux investissements et du système fiscal, d'annoncer et d'opter pour la modulation des dépenses publiques au cours de l'année en cours. La Tunisie a besoin de travail.