«La neutralité. C'est ce que le pays et le pouvoir politique attendent de la Banque centrale de Tunisie». Au nom du CPR, Bechir El Nefzi, député de la Constituante, ne mâche pas ses mots : «Au-delà des différentes appréciations que les uns et les autres peuvent avoir des politiques possibles et envisageables, les exigences de l'étape appellent et nécessitent un apport de sang nouveau. Un sang nouveau porteur de détermination, d'engagement sincère pour le progrès». Behir Nefzi concède cependant que dans la décision d'écarter éventuellement le gouverneur de la BCT, il y a forcément une considération politique . Le porte-parole d'Ettakatol, enfonce davantage le clou: à l'exigence de la neutralité, le gouverneur de la Banque centrale «se doit d'être transparent». Dans cette affaire dont les principaux protagonistes( !) sont le gouvernement et la Banque centrale, sur fond de crise économique et sociale aiguë, à visée politico-financière, et politique tout court, les responsables du pari Ennahdha au pouvoir ont peut-être eu le court bon réflexe de ne pas nous répondre. Le torchon brûle entre le gouvernement et la Banque centrale de Tunisie. Ou plutôt, devrait-on désormais dire, le torchon brûlait depuis des semaines entre le gouvernement et le gouverneur de la BCT. La nuance est de taille : non seulement l'affaire semble aujourd'hui être consommée et le départ de Mustapha Kamel Nabli imminent, mais, paraît-il encore, le gouvernement avait maille à partir bien plus avec la «personnalité et le caractère» du gouverneur qu'avec le fonctionnement de l'autorité monétaire elle-même. Une certaine et même une franche «incompatibilité d'humeur», selon Mohammed Bennour, porte-parole d'Ettakatol. «La BCT est indépendante. Nous avons toujours défendu ce principe. Mais le courant semble ne pas passer entre le gouvernement et le gouverneur de la BCT. C'est un problème d'incompatibilité d'humeur. Nous n'avons aucun problème avec M. Nabli, mais un gouverneur de la Banque centrale se doit d'être en collaboration directe avec le gouvernement», dit-il. Une position qui fait, d'une certaine manière, écho aux propos de Houcine Dimassi. «Il a un caractère spécial c'est certain, mais c'est quelqu'un qui a un niveau très élevé. Je lui ai dit un jour qu'il n'est pas fait pour travailler dans des pays méditerranéens comme les nôtres», a déclaré «l'ami de trente ans», samedi dernier sur les ondes de Hannibal TV. Nostalgique et pathétique, le ministre des Finances a tenu, à l'égard de Mustapha Kamel Nabli, son camarade d'école, les propos que tiendrait, trente ans plus tard sans «rancune», tout camarade de classe revanchard. La revanche, en l'occurrence, du laxisme et de la fuite en avant budgétaire contre la rigueur et une certaine orthodoxie monétaire ! C'est du moins ce que semblent soutenir nombre d'économistes tunisiens. Ceux-ci avancent même que la toute récente dégradation de la note souveraine de la Tunisie n'est qu'un alibi pour un gouvernement qui cherche depuis longtemps à éliminer un homme de caractère, éminemment compétent mais qui avait pour seul tort de n'être pas docile. Pour eux, là où le gouvernement croit avoir enlevé une épine du pied, le même gouvernement court désormais à sa perte. Du moment que même sous le couvert du respect du principe de l'indépendance de la BCT, il érige la neutralité de celle-ci. Aucun nouveau candidat à la direction de la BCT, sincère et vraiment patriote, ne peut, jugent-ils, accepter cette aussi faible marge de manœuvre par rapport au gouvernement. A ce petit jeu des « humeurs » et des petits calculs politiciens, les institutions financières et monétaires internationales ne sont guère dupes, tranchent-ils. Et puis, renchérissent-ils, si l'on se place strictement sur le plan politique, c'est un formidable cadeau que le gouvernement et la Troïka viennent d'offrir à Mustapha Kamel Nabli d'autant plus que certains observateurs politiques verraient sérieusement «cette épine» porter les couleurs de la Tunisie aux prochaines élections. Pour le CPR et Ettakattol, la présente étape commande d'apporter et d'insuffler un sang nouveau au sein de la Banque centrale. Une position que cautionne tout naturellement le parti Ennahdha. Même si, après moult tentatives, les responsables contactés à ce propos sont restés muets. Du sang nouveau ? Quid alors de la prochaine composition du gouvernement ? Ouverture ? Intégration de nouvelles compétences ? Personne ne voudrait en parler. Comme si c'était un tabou ou un secret des dieux. Mais, et quoi qu'il en soit, pour l'intérêt supérieur du pays, évitons de grâce les accès de colère et les incompatibilités d'humeur… Un signe qui ne trompe guère cependant : au moment où les rumeurs enflaient et gonflaient au sujet du limogeage du gouverneur de la BCT, que le gouvernement cherche désespérément à le remplacer, celui-ci avait, apprend-on d'une source digne de foi, tranquillement et obstinément pris hier l'avion pour se rendre à… Arusha en Tanzanie pour participer en sa qualité de gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, toujours en exercice, aux assemblées annuelles 2012 des Conseils des gouverneurs du Groupe de la Banque africaine de développement. Et ce n'est qu'en marge des affaires de l'Etat, qu'il aura, selon toute vraisemblance, l'obligeance d'accepter le 6ème Prix du Meilleur Gouverneur de Banque Centrale du continent africain, en signe de considération de l'ensemble de la sphère africaine et internationale du développement. Franchement, le gouvernement a toute la latitude et la capacité de garder ou non les meilleurs ! Il gagerait cependant à avoir cette lucidité de savoir composer avec les «humeurs» des meilleurs. Les meilleurs sont par essence indociles, parce qu'entiers, intègres, rigoureux et honnêtes. Et puis, seuls les meilleurs peuvent, quand il le faut, savoir bien et utilement composer ! Dès lors qu'il s'agit de l'intérêt supérieur de la Tunisie.