Par Soufiane Ben Farhat Les appels au meurtre proférés par un imam du haut de la chaire de la mosquée Zitouna ne cessent de révulser. Que dis-je, on n'y reconnaît plus son pays, ni les siens. Ni sa prestigieuse Grande mosquée, universellement réputée pour l'esprit de tolérance de ses imams, au fil des âges. Et puis il ne s'agit point d'actes isolés. En moins d'une semaine, des énergumènes, des prédicateurs de circonstance et des imams ont ouvertement appelé à tuer des personnalités de l'opposition, en les citant nominativement. Publiquement et devant des caméras de télévision. Le laxisme préalable des autorités en la matière a atteint des seuils ravageurs. Parce que le sommeil de la raison engendre des monstres. Certains nous promettent de transformer la Tunisie en Tunistan. Là, c'est pire. Parce qu'il y a un degré du pire dans les registres de l'horreur. Eh quoi ? Croirait-on d'aventure que l'on soit en passe d'instaurer une théocratie sanguinaire ? C'est ça la Révolution de la liberté et de la dignité ? Décréter la Terreur et éliminer physiquement des gens jugés apostats par de sombres imams de l'infortune, autoproclamés de surcroît ? Soyons clairs : à l'instar de notre classe politique en général, la sphère cognitive de la majorité de nos imams ne brille guère par ses performances. Certains s'abîment dans des rituels avachissants, d'autres dans des récitations pures et simples de quelque catéchisme islamique sauvage, inventé de toutes pièces. Qu'on est loin des illustres imams et théologiens tunisiens Salem Bouhajeb, Abdelaziz Thâalbi, Taher et Fadhel Ben Achour ! De véritables fleurons de la pensée islamique, des chantres de la modération et de la tolérance. Aujourd'hui, certains croient être devenus imams avec, pour seul appareillage cognitif, des préjugés d'une semi-culture. C'est-à-dire une ignorance elle-même fragmentaire, sommaire et amputée. Et Ennahdha dans tout cela ? Pourquoi point de promptitude à interdire ces gens de chaire et d'imamat ? N'oublions guère que l'imam qui a appelé au meurtre à la Zitouna est le même qui a exigé que la médecine soit enseignée dans les mosquées. C'est le même aussi qui a fait la polémique en sanctifiant en quelque sorte M. Rached Ghannouchi et en disant «radhia allahou 3anhou». La réaction du ministère des Affaires religieuses a été mitigée. Il interdit à cet imam la chaire à la mosquée Zitouna et dans d'autres mosquées. Il en profite pour n'accepter désormais que les imams désignés par ses soins dans toutes les mosquées de Tunisie. On aurait souhaité que le ministère engage également des poursuites judiciaires. Le ministre de la Culture a été si prompt et zélé pour intenter un procès à l'encontre des responsables d'œuvres artistiques jugées blasphématoires au Palais Abdellia. Sans que le caractère blasphématoire ne soit évident. Le ministre des Affaires religieuses, lui, se contente d'interdiction de chaire devant des appels au meurtre avérés. Ce qui nous a embarqués dans les dédales du marasme jusqu'ici, c'est cette attitude ambiguë. Deux poids et deux mesures. A la tête du «client». Le gouvernement gagnerait à se départir au plus pressé de cette attitude louche, mue par moments par des considérations partisanes et électoralistes sordides. Les franges de l'extrême droite islamique constituent un réservoir de voix et de supporters pour certains. Alors, on condamne les actes répréhensibles et les forfaitures du bout des lèvres. A trop caresser un cercle, il finit par devenir vicieux. Il faut briser le cercle de la talibanisation de la Tunisie. Le gouvernement doit donner l'exemple. Et veiller à la quiétude du Temple et briser les carcans des séides de l'intolérance et du terrorisme intellectuel. Sinon, sinon, bonjour le Tunistan.