Par Soufiane BEN FARHAT Le ministre des Affaires religieuses a promis de résoudre «les problèmes qui sévissent à l'intérieur des lieux de culte» dans les plus brefs délais. L'information se veut rassurante sinon, osons le dire, sécurisante. Bien entendu, les derniers développements dans les mosquées et masjids interpellent. De véritables luttes de faction sur fond de prosélytisme religieux et de fanatisme rampant y ont lieu. On parle de 400 à 500 mosquées concernées. Ce qui n'est pas une moindre chose. Les propos de M. Noureddine Khademi, ministre des Affaires religieuses, sont révélatrices à ce propos. Il a bien estimé avant-hier que «la situation dans les lieux de culte est stable». Ce qui ne l'empêche pas de souscrire que d'autres mosquées «connaissent une certaine tension qui est la conséquence naturelle de la révolution». Une dépêche de l'agence TAP révèle par ailleurs que le ministre «a mis l'accent sur la volonté de réhabiliter la chose religieuse et ancrer le référentiel coranique au sein des mosquées». En fait, les propos du ministre démontrent a contrario que des choses autres que la chose religieuse et le référentiel coranique circulent dans l'enceinte des mosquées. Et cela s'avère grave. En vérité, de véritables luttes de sectes et de chapelles investissent depuis quelque temps les mosquées. Des séides, adeptes de l'interprétation sauvage des textes sacrés s'emparent des tribunes, de l'imamat et des chaires de prêche. Ils se retrouvent aux prises avec des groupes rivaux, mus par le même zèle et les mêmes ardeurs. Le télescopage est inévitable. Il en résulte des scènes désolantes d'altercations et parfois même d'agressivité et de violences verbales. Dans telle ou telle mosquée, des prieurs ont assisté, médusés, à deux prêches du vendredi, tenues simultanément. Ailleurs, les kouttabs ont été pris d'assaut et leurs gestionnaires ou professeurs, particulièrement la gent féminine, congédiés. Manu militari et sans voie de recours. L'administration est surprise et n'y peut guère. Le cheffisme n'épargne point les mosquées. Certains en font des tribunes de propagande politicienne. Bien que le Saint Coran instruise que «les mosquées sont consacrées à Dieu : n'invoquez donc personne avec Dieu». Un certain islam d'interprétation moyen-orientale, plutôt wahhabite et satellitaire à souhait se propage, via de jeunes recrues, dans nos mosquées. Ce qui fait dire au ministre des Affaires religieuses qu'il faut «restaurer» l'approche zeitounienne. A ce niveau aussi, des frictions et des rivalités sourdes se font jour. Par essence et définition, l'interprétation du texte sacré est libre. L'Islam lui confère ses titres de noblesse via l'ijtihad, un effort continu d'interprétation et d'adaptation. L'interprétation, qui rejoint l'herméneutique, ne saurait devenir contraignante. Dès lors que l'opinion des hommes devient une chaîne pour d'autres hommes, le despotisme et l'injustice font leur brutale irruption. Aujourd'hui, dans bien des mosquées tunisiennes, il y a péril en la demeure. Des jeunes fourvoyés par des slogans factices, aveuglés par la passion, passent outre le prestigieux référentiel national en la matière. Et, ce faisant, ils perdent les repères de la tolérance et de la modération qui caractérisent l'Islam tunisien. Ils font montre de fougue fondée sur la seule ardeur doublée d'une méconnaissance du corpus zeitounien. Ils ignorent ou feignent d'ignorer, ainsi que ceux qui manipulent dans l'ombre, que le malékisme est qualifié d'«école tunisienne» dans notre glossaire de la doctrine religieuse. Dis-moi quel lexique tu tiens, je te dirai qui tu es en fait. Et chez nous, hélas, la problématique cognitive se double de dérives sémantiques. Le redressement cognitif et sémantique religieux s'impose. Et le plus tôt sera le mieux.