«L'indépendance du pouvoir judiciaire en Tunisie, à la lumière du processus de réforme constitutionnelle et des normes internationales», tel est le thème du séminaire organisé, hier, à l'initiative de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) en partenariat avec la Commission internationale des juristes (CIJ). Au menu de cette rencontre-débat, qui doit s'étendre sur deux jours (vendredi 6 et samedi 7 juillet), d'importantes problématiques auxquelles ont essayé de répondre les conférenciers à l'instar de Fadhel Moussa, président de la commission du pouvoir judiciaire à l'Assemblée nationale constituante, Wilder Tayler, secrétaire général de la Commission internationale des juristes et Mondher Sikani, magistrat tunisien et membre de l'AMT. Les participants, pour la plupart membres de l'AMT, ont également apporté leur contribution à travers les questions qu'ils ont posées et les propositions et observations qu'ils ont exprimées, au débat général instauré depuis le triomphe de la révolution du 14 janvier et qui tourne autour d'une question majeure : comment la nouvelle Constitution devrait-elle garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire et comment instaurer un système judiciaireindépendant qui soit adapté aux normes internationales? L'état des lieux Mais avant d'arriver aux propositions et conceptions relatives au système judiciaire dont accouchera la future Constitution, il faudrait avoir une idée sur l'état des lieux de la justice, à l'heure actuelle, et sur les transformations ou les nouveautés qui y sont enregistrées depuis la révolution. Un document préparé par les organisateurs du séminaire précise, en effet, que «malgré la reconnaissance de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance du pouvoir judiciaire dans l'ancienne Constitution, le pouvoir exécutif contrôlait des éléments importants de la magistrature tunisienne allant de l'administration de la justice à la nomination, en passant par la promotion ainsi que la sécurité et les conditions d'exercice par les magistrats de leurs fonctions». Après la révolution, rien n'a changé et jusqu'aujourd'hui «le contrôle exécutif sur le pouvoir judiciaire demeure bien ancré», souligne toujours la note introductive du séminaire qui cite «la révocation par le ministre de la Justice de 81 juges sur la base de soupçons de corruption et d'allégeance à l'ancien régime sans qu'aucune procédure n'ait été dûment effectuée et sans que les personnes révoquées n'aient eu accès à aucun recours bien que le ministère ait tardivement adhéré à cette mesure». Dans le même document, les magistrat considèrent que «d'importantes réformes juridiques doivent être effectuées, conformément aux normes internationales afin d'assurer la fin du contrôle de l'exécutif sur le pouvoir judiciaire, la restriction de la compétence des tribunaux militaires en conformité avec les normes internationales, la création d'une autorité indépendante et habilitée à veiller au respect de la Constitution et le rétablissement de la confiance dans le système judiciaire tunisien à travers le renforcement des garanties de l'impartialité et de la responsabilité des juges». Nous avons écouté tout le monde Comment la commission du pouvoir judiciaire de l'Assemblée nationale constituante, présidée par Fadhel Moussa, a-t-elle fonctionné depuis sa première réunion tenue le 13 février 2012 et quelles sont les propositions qu'elle va soumettre à la commission d'élaboration du texte de la Constitution, pour ce qui est du titre relatif au pouvoir judiciaire? «Notre démarche, souligne Fadhel Moussa, a constisté à entamer notre travail en partant d'une feuille blanche, dans le sens que nous ne voulions pas être influencés par aucun des projets qui nous sont parvenus de la part d'associations spécialisées, de constitutionnalistes, de personnalités nationales ou de plusieurs partis qui nous ont soumis des constitutions toutes faites. Notre choix ne nous a pas empêchés d'écouter tout le monde parmi ceux qui appartiennent au système judiciaire (Association des magistrats tunisiens, le Syndicat des magistrats tunisiens, l'Association des magistrats administratifs, les magistrats de la Cour des comptes, etc...). Pour nous, deux verroux sont essentiels dans l'approche que notre commission se fait du pouvoir judiciaire. Il s'agit, d'abord, de mentionner, avec clarté et précision, dans le texte de la Constitution, le principe fondamental de l'indépendance de la justice et celui du contrôle de la constitutionnalité des lois». Et le doyen de la faculté des Sciences sociales et juridiques de Tunis d'ajouter : «Le projet discuté actuellement au sein de la commission sera soumis, pour avis, aux magistrats et à toutes les composantes de la société, et ce, avant qu'il ne soit soumis à la commission de coordination et d'élaboration de la Constitution. Notre projet comporte deux nouveautés: l'interdiction de la création de tribunaux spéciaux et la création d'une Cour constitutionnelle qui sera chargée de s'exprimer en matière de contitutionnalité des lois. Nous avons décidé, également, de proposer la création du poste de juge chargé de l'application des jugements rendus en matière civile». Les juges à l'abri de la pression Pour Wilder Tayler, secrétaire général de la Commission internationale des juristes, qui a parlé de «l'indépendance du pouvoir judiciaire à la lumière des normes et des expériences internationales», il est un élément essentiel dans l'indépendance de la justice : «Il s'agit de la loi qui doit être équitable et applicable ; chaque prévenu doit être jugé par un tribunal impartial et dans des délais raisonnables. L'Etat assume la responsabilité de garantir la présence de tribunaux libres et indépendants». Le S.G. de la Commission internationale des juristes souligne que les magistrats «doivent exercer leurs fonctions sans contrainte extérieure, qu'ils soient sécurisés lors de l'exercice de leurs missions, que leurs salaires doivent être compatibles avec leurs fonctions, qu'ils ne doivent pas être recrutés avec des contrats à durée déterminée». Quant à Mondher Sikani, juge et membre de l'Assocition des magistrats tunisiens (AMT), il a insisté, dans son intervention portant sur l'instance provisoire de la magistrature, sur deux points. «D'abord, l'instance provisoire doit être élue par les magistrats, tous degrés confondus. Ensuite, rien ne justifie le retard enregistré, jusqu'ici, au niveau de la Constituante, pour la création de l'Instance. C'est une question urgente et l'on se demande, avec l'approche des vacances des magistrats, qui va décider des nominations, des promotions et des mutations», souligne-t-il.