Par Soufiane Ben Farhat «La Tunisie, ce bateau ivre», titrait-on sur ces mêmes colonnes, il y a quelques jours. Il aura fallu deux semaines d'une crise infernale sur l'extradition de Baghdadi Mahmoudi pour découvrir que le président de la République a, lui aussi, des états d'âme. N'ayant pas été informé par le gouvernement sur le timing et les modalités de l'extradition, le chef de l'Etat avait jugé utile de riposter prestement. Dans un premier temps, le ministre porte-parole de la présidence, Adnène Mansar, avait investi les plateaux télé pour faire part du courroux du Président. Puis, on annonçait le refus du chef de l'Etat de parapher certains textes de loi. Derechef, le président décrétait le limogeage toujours improbable et en suspens du gouverneur de la Banque centrale. Avant d'annoncer un discours tonitruant à la nation. On a commencé alors à escompter l'ampleur de la parade allant de la grève présidentielle à la démission en bonne et due forme. Jeudi avant-dernier, le discours fut reporté in extremis et le ministre-conseiller du Président chargé de l'Information démissionnait. Le porte-parole de la présidence s'est, lui aussi, étrangement éclipsé depuis. Autour du président, le cercle rapproché s'écroulait comme un château de cartes. On y dénombre au moins quatre démissions et une éclipse. Puis le chef de l'Etat a commencé à recevoir à tour de bras. Une vingtaine de personnes reçues en trois jours. Les boîtes mail des journalistes ne désemplissent pas. On y annonce le blitz des rencontres présidentielles, avec des personnalités politiques nationales et étrangères. Enfin, le chef de l'Etat a consenti deux ou trois sorties en public, a commis un article fantasque sur le site Aljazeera.net, avant de prononcer enfin son fameux discours tant attendu avant-hier soir. A première vue, il y a là tous les ingrédients d'un mélodrame. Et pour cause. La fonction présidentielle en est profondément ébranlée. Intempestif, outrancièrement réactif, mal conseillé et mal entouré, le président de la République donne l'impression de brasser dans le vide. Franchement, soyons sérieux, il a beau déclamer son domaine réservé piétiné et ses droits bafoués par le gouvernement, le Président ne convainc pas. C'est une question de consistance et de style. Intempestivement alertée et prise à témoin dans un premier temps, l'opinion a décroché très tôt. La légèreté et l'amateurisme sont passés par là. Les ravages sont grandioses. Et essentiellement contreproductifs. En même temps, le gouvernement, la majorité parlementaire et la présidence de l'Assemblée constituante se sont retrouvés aux prises avec les charges de l'opposition à la faveur de cette crise. Cette dernière a même concocté une motion de censure à l'endroit du gouvernement. Mais, étrangement, on n'a jamais ressenti, tout au long de la crise, la moindre empathie entre l'opposition et le Président. Celui-ci a en effet donné l'impression de danser sur deux chaises : opposant virtuel face au gouvernement qu'il accuse et farouchement partisan du gouvernement face à l'opposition qui le soutient. Du coup, il a concentré sur lui toutes les forces de rejet. Bien pis, les propres militants du CPR, le parti présidentiel, le désavouent publiquement ou feignent de le soutenir du bout des lèvres. Bref, cela frise la feuilletonite égyptienne larmoyante et à la guimauve. La politique en prend un sacré coup. L'image présidentielle aussi. En toile de fond, le statut futur de M. Moncef Marzouki. Visiblement, il n'aura plus le soutien d'Ennahdha pour sa candidature à la présidentielle de 2013. Il fera cavalier seul. Seul et esseulé. Parce que même l'opposition ne semble guère le soutenir. Et son propre parti ne semble guère soucieux de le défendre. La double erreur du Président Marzouki, c'est son entourage immédiat et la non-maîtrise de l'art de la communication. Saura-t-il se rattraper ou est-ce déjà trop tard ? En tout état de cause, la crise a révélé le côté psychologique du président. On sait au moins qu'il éprouve quelque malaise existentiel parfois sur fond d'états d'âme.