Par Soufiane Ben Farhat On ne sait plus à quel saint se vouer. Les discours officiels se télescopent. Il en résulte un brouillage monstre. L'affaire de l'extradition de Baghdadi Mahmoudi révèle le déficit communicationnel de l'establishment. Tout le monde dit tout et n'importe quoi. Au prix de se discréditer aux yeux d'une opinion désabusée. Le chef du gouvernement a soutenu mordicus, à l'Assemblée constituante, qu'il avait informé le président de la République des modalités de l'extradition. Pourtant, la veille et l'avant-veille, des ministres s'étaient publiquement excusés auprès du président pour sa non-information préalable. Le chef du gouvernement affirme également que le président vient de lui transmettre par écrit sa renonciation à l'arbitrage de l'Assemblée constituante dans le différend qui les oppose. Des élus du parti présidentiel et des conseillers présidentiels le nient avec véhémence et désavouent le chef du gouvernement en public. La veille, le chef de l'Etat s'est annoncé pour un discours solennel à la nation. Il se ravise au dernier moment, sans en fournir le motif. Plus tard, son ministre conseiller pour l'information annonce sa démission sur les réseaux sociaux. C'est la quatrième démission d'un conseiller présidentiel en moins de trois mois. Un triste record. Le président de l'Assemblée constituante n'est pas en reste. Son suivisme décapant à l'égard du parti dominant est injustifié aux yeux de la multitude, les militants et sympathisants de son propre parti en prime. Pourtant, il se tait. Semble mal à l'aise et contrit. Son silence en rajoute aux spéculations sur les vraies motivations de sa position. Le Tunisien observe cela, désabusé. Le prestige de l'Etat est en jeu. Les gens se réfugient dans un premier temps dans la satire acerbe. Plutôt en rire que d'en pleurer. Rire en grinçant des dents. «C'est du karakouz» (un jeu de pantins) se disent plus d'un, la mort dans l'âme. En même temps, les milices facebookiennes de la majorité gouvernementale s'en donnent à fond la caisse. Elles éventrent les auteurs de toute opinion jugée dissidente. Tout de suite taxée de blasphématoire, de relents putrides des anciens, de témoignage des «orphelins de la France et de Bourguiba». Ils s'étripent en public, soit. Suffit-il qu'on esquisse quelque opinion non orthodoxe, on subit le courroux de sa sainteté la Troïka. Soyons sérieux. La semaine qui a débuté dimanche dernier avec l'extradition brumeuse de Baghdadi Mahmoudi est une semaine folle. Elle a mis en relief l'immaturité institutionnelle de la classe politique au pouvoir. Seul l'esprit de revanche qui nourrit ses principaux ténors explique ce gâchis. On se croirait dans une sous-République bananière. Pourtant, ce qui nous a sauvés jusqu'ici, c'est la permanence de l'Etat tunisien, sa continuité, la mobilisation de ses cadres et l'efficience de ses rouages. Par-delà toute considération partisane. L'Etat, c'est nous tous. On gagnerait à arrêter l'hémorragie. Nous frôlons l'état navrant de devenir la risée de tout le monde. Et le burlesque, en politique, recèle souvent le tragique. Y a-t-il un sage dans la classe politique, un homme charismatique, un sauveur ? A défaut de commandant de bord, le consensus institutionnel peut officier comme conseil des sages. Autrement, la clochardisation des institutions n'en finira pas de produire des ravages. Et ces derniers n'épargneront aucune partie, si auto-justificatrice soit-elle. Qui sème le vent récolte la tempête. Elémentaire, mon cher Watson.