Par Soufiane BEN FARHAT L'affaire de l'extradition de Baghdadi Mahmoudi suscite nombre d'interrogations légitimes et à brûle-pourpoint. Cela pose de sérieuses questions relatives à la communication intra-gouvernementale et des rapports au sein de la Troïka gouvernante. De hauts responsables à la Présidence de la République l'ont dit et réitéré : le président n'a pas été informé par le gouvernement de cette extradition. Tant au niveau de la décision qu'à l'échelle de l'exécution. Le chef de l'Etat est le chef suprême des forces armées. Pourtant, Baghdadi Mahmoudi a été transféré à partir d'un aéroport militaire tunisien via des forces armées étrangères. Et il n'en a guère été informé. Le président Marzouki dit souvent qu'il reçoit chaque matin les rapports sécuritaires ultraconfidentiels des services de l'armée et de la police. A l'en croire, ils tranchent net avec la sinistrose en vogue dans les médias. Cette fois, ou lesdits rapports n'ont pas été rédigés ou ils ont dit tout sauf l'essentiel. Le gouvernement a-t-il informé tous ses membres de l'extradition ? Il compte bien en son sein quatre ministres et deux secrétaires d'Etat du CPR, le parti du président. S'ils en ont été informés, pourquoi le black-out à l'égard du président ? En tout état de cause, M. Mohamed Abbou, ministre et secrétaire général du CPR, semble bien avoir été informé. Il a même légitimé la légalité de l'extradition, en fournissant force détails de l'argumentaire juridique en faveur du gouvernement. A préciser qu'il se trouvait alors au Sud à plus de 600 km de Tunis, d'où l'extradition a eu lieu. Le président de l'Assemblée constituante, M. Mustapha Ben Jaâfar semble avoir été, lui aussi, floué dans cette affaire. Un épais nuage de secret l'a maintenu en dehors du cercle des initiés. C'est-à-dire dans l'anonymat des hommes ordinaires plutôt que dans les secrets des dieux. Pourquoi subit-il lui aussi l'attitude pour le moins altière et hautaine du gouvernement ? Et les partis politiques de la majorité proprement dits ? Un proche collaborateur du président de la République m'a déclaré avant-hier, la mort dans l'âme : «Ce qui nous attriste le plus, c'est l'attitude timide et timorée de notre parti, le CPR. Tenez, même le communiqué publié par notre parti est tiède. Il élude la question de l'illégalité de l'extradition et se contente de parler vaguement de politique de consensus au sein de la Troïka». Je lui rappelle que le chef du cabinet présidentiel avait parlé quelques heures auparavant de coup de poignard porté par le gouvernement dans le dos de la Présidence. Il rétorque : «Nous sommes poignardés dans notre propre parti, qu'attendre dès lors des autres ?» Ettakatol, parti du président de l'Assemblée constituante, s'est rangé quant à lui du côté du gouvernement. Une chose est certaine selon des observateurs avertis. Le siège du candidat appuyé par Ennahdha pour le poste de président de la République lors de la prochaine élection présidentielle est déjà vacant. Le président d'Ettakatol serait déjà en lice. C'est dire l'intensité de l'atmosphère courtoise et d'échange de bons procédés au sein de la coalition gouvernementale. Une atmosphère florentine faite de chausse-trapes, de traquenards, d'esprit sectaire, d'alliances contre-nature, de miroirs aux alouettes et de retournements de veste. Finalement, il n'y a guère de gagnants dans ce triste manège. Il n'y a que des perdants. Cela rejaillit négativement sur toute la classe politique au pouvoir. Et les partis jouant sur le registre moral y perdent au change plus que les autres. Et, au bout du compte, toutes les interrogations méritent des réponses claires.