• Un nouvel orchestre. Un nouveau style. De nouveaux éléments sur scène. Un classique savamment repris. Et une prestation élégante et exquise. Notre Franco-Tunisienne sait marcher vers l'universel tout en s'accrochant à ses origines arabes. On ne va pas au music-hall comme on va à un dancing ou un concert. On y va pour panser une blessure sentimentale, calmer un chagrin d'amour, caresser l'espoir des retrouvailles. On y va pour ne pas souffrir seul dans son coin, pour donner l'impression qu'on compatit aux souffrances de l'autre, alors que cet autre n'est autre que soi-même. Là, au music-hall, une fille, à la beauté généralement discrète, a pour tâche précisément de panser les blessures béantes grâce à sa voix berceuse, à sa féminité, à sa grâce. Elle est là pour dire la souffrance des autres, la douceur et la cruauté de l'amour, le départ impromptu et affligeant des êtres chers à notre cœur; bref, elle est là pour donner une once de chaleur humaine à ceux qui n'en ont pas ou plus. Et pendant ce temps-là, l'orchestre, entre envolées lyriques et chutes duveteuses, émeut un couple de danseurs gagné tour à tour par des frénésies diaboliques et des accalmies angéliques. C'est l'ambiance feutrée et nostalgique à laquelle nous a invités avant-hier Abir Nasraoui au Théâtre municipal. Intitulé «Tango Aravi», son récital est soutenu par une formation cosmopolite (deux Argentins, deux Français et un Tunisien) et un accent polyglotte (arabe, français et espagnol), avec, en prime, un couple de danseurs ravissants venus de Tunisie (la fille) et de Suède (son cavalier). On note cette particularité du music-hall qui n'a pas échappé à Abir, à savoir l'absence de tout instrument de percussion ; le tempo est suffisamment donné par une contrebasse accompagnant un accordéon, un piano, un violon et un luth. Quant au chant proprement dit, il fallait compter sur l'intelligence de la ‘‘fille gracieuse du music-hall'' pour ne pas tomber dans l'importé gratuit ou le prêt-à-chanter facile. Abir et son groupe ont dû travailler dur pour réussir ce mariage rétif entre la musique arabe et l'ambiance des cafés argentins. Aussi, avons-nous eu droit à un florilège sublime des œuvres du grand Mohamed Abdelwaheb : Sahirtou min'hou l'layali, Inta w âzouli w zamany, Ana wel âdheb wi hawek, mais aussi Ya zahratan fi khayali de Ferid Latrach et un petit crochet par Ismahène, le tout interprété sur un accent franchement kabyle par moments (serait-elle d'origine algérienne notre Abir ?). Avec ce nouveau style – qu'elle gagnera beaucoup à garder–, Abir Nasraoui est en train de gravir sûrement les marches difficiles vers l'universel. D'autant plus sûr cet envol que les amoureux du music-hall tuniso-argentin n'étaient pas aussi mélancoliques qu'on le pense. Quand la grâce fait les yeux doux au spleen, les soupirs se muent en sourires.