Dans pratiquement tous les pays du monde, la révolution est significative d'un peuple mûr, responsable et consciencieux que la dignité a poussé à rejeter toute forme de totalitarisme, de dictature et de dépassements intolérables. C'était, en fait, le cas aussi des Tunisiens un certain 14 janvier 2011. Sauf que bientôt, nous sommes entrés dans une véritable transe («takhmira») que nous n'avons pu contrôler ni trouvé qui nous remettre à notre place. Tout le monde n'en fait plus qu'à sa tête. Après la vague des revendications de toutes espèces, les sit-in, les grèves, ensuite la déferlante de la violence (sans châtiment radical), nous voilà pris dans le tourbillon d'une liberté effrénée, irréfléchie, irresponsable, devenue synonyme de laisser-aller et d'abus de tous genres. Dans les rues de la capitale et surtout dans les banlieues, les ordures sont devenues une espèce de décor tout à fait naturel, qui ne dérange plus personne, à telle enseigne que sur les terrasses des cafés, à moins d'un pas des saletés, des clients sirotent, le soir, leur café ou jouent aux cartes en respirant les relents des ordures, sans même s'en rendre compte, comme si c'étaient des parfums. Un peu partout, ont poussé des kiosques à journaux et fruits secs sans la moindre autorisation et dans l'indifférence générale. Des constructions se sont dressées sans la moindre autorisation de bâtir, allant jusqu'à confisquer des parties de trottoirs par des amoncellements de matériaux (du sable surtout). Et personne ne dit mot. Quasiment dans chaque rue, s'est posée au moins une nassba (étal à même le sol) à légumes ou fruits de saison sans que personne trouve à redire. Et maintenant, c'est le tour des taxis. Ils travaillent à leur guise. Ils ne prennent que le client dont la destination leur convient. Souvent, ils ne s'arrêtent même pas au à l'appel du client qui les hèle de la main. Ce qui est supposé être un service public est devenu un service à la tête du client — et selon la course à faire. D'un autre côté, ils ne cessent de pleurnicher : ils seraient, paraît-il, 30 mille à circuler dans le Grand-Tunis, ce qui réduirait sensiblement leur marge de travail ; ils rouspètent contre le mauvais état des chaussées et des routes ; ils se plaignent des multiples charges, impôts et taxes à acquitter chaque mois, etc. A la question de savoir comment la Tunisie en est arrivée à cet état des choses, la réponse, unanime, est : «C'est le temps de la révolution». Quelle révolution? On pensait en avoir fini avec la révolution. 19 mois après l'exploit du 14 janvier, n'est-il pas encore temps de se secouer, de se remettre au travail, de faire en sorte qu'il soit propre ce pays qui est le nôtre, de respecter les lois et les citoyens, bref d'être plus respectueux de soi, des autres et de notre espace vital? Car il est très important que chacun de nous le sache : c'est toujours nous, le petit peuple, qui payerons la facture de toute cette gabegie, de cette anarchie. Nous seuls payerons les pots cassés, pas les autres. Qui rend aujourd'hui infernale la vie et malsain le moindre mètre carré du territoire, c'est sa propre vie qu'il empoisonne et c'est son propre carré qu'il infecte. Les grands, eux, fileront, le jour J, vers la Suède, le Canada ou l'Arabie Saoudite. Nous seuls resterons dans la saleté et mènerons une vie de jungle, sans loi ni ordre ni l'ombre de modernisme. Pas les autres. Et à la fin, on s'apercevra que le sang de nos martyrs de la révolution a été répandu dans la nature pour rien. Pour rien ! Par nos agissements irresponsables et goujats, nous avons banalisé notre révolution. Et bientôt, nous allons la ridiculiser carrément. C'est ça que nous voulons?!