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Petits métiers à Tunis
Enquête : Travail parallèle
Publié dans Le Temps le 01 - 09 - 2008

Ils sont là tous les matins, été comme hiver, bien avant l'ouverture des bureaux. L'essentiel de la recette se fait à ce moment de la journée, lorsque les fonctionnaires, les employés, les ouvriers rejoignent leurs bureaux, leurs postes. Etals de mouchoirs jetables, cigarettes, casse-croûtes de toutes sortes.
Certains mangent de suite, sur place, debout bien sûr, d'autres prennent la ration de midi à consommer sur le lieu de travail, par manque de temps ou pour éviter de se déplacer dans la cohue et les bousculades inévitables. Ils ont des clients très réguliers et fidélisés. D'autres passent chargés de gobelets, ou d'une tasse bien « personnelle », couverts d'alu, pour garder au chaud le café crème, un petit sachet pendouille entre les doigts, croissant ou pâté, pour prendre le petit déjeuner au bureau, ou au magasin. Nouvelles habitudes admises !! Les accros, camouflent avec du papier journal une petite bouteille de soda remplie de café noir, à siroter durant la matinée.... Rien à voir avec ces marchands à la sauvette, qui vous vendent aujourd'hui des chaussettes et demain des grattoirs ou des rouleaux de papier essuie-mains. Ceux là ne sont pas de simples revendeurs, mais de petites gens avec de vrais petits métiers.
Ils sont deux à se faire face, Place Ali Zouaoui, séparés de quelques mètres, et ne se faisant nullement concurrence. Deux brouettes bricolées de la même façon : une caisse en forme de cube de soixante centimètres de côté, juste de quoi contenir deux couffins. Cette caisse est posée sur une plateforme à deux roues, et une barre de fer, qui sert de guidon pour manoeuvrer l'ensemble. Très pratique en cas d'alerte : puisqu'il n'y a aucune patente, aucune autorisation, ces « casse-croûteurs » sont toujours aux aguets, craignant les agents municipaux . Lorsqu'il y a un contrôle impromptu, on couvre la caisse d'un carton et on démarre. On devient livreur....rien ne transparaît, la démarche nonchalante adoptée éloigne tous les soupçons.
L'un propose des sandwiches sucrés. Des minis pains dits tabouna, en fait des crêpes très épaisses, de dix centimètres de diamètre dans l'un des couffins. Dans l'autre, quatre bocaux à col large : du beurre, de la ricotta, du miel, et de la confiture. Au choix. Ou tout ensemble, le prix varie très peu. Certains demandent de la « chamiya » avec la ricotta et le beurre. Beaucoup consomment debout, sur place, le petit carré de papier pour s'essuyer la bouche. Quelques uns emportent la crêpe emmaillotée pour une consommation plus tardive.
L'autre, pratiquement la même structure : des pains tabouna, une boîte d'harissa d'un kilogramme éventrée au couteau, des triangles de fromage fondu, du thon en miettes, de l'huile. Une manœuvre habile : d'un coup le petit pain est ouvert comme un porte-feuille, une lampée d'huile, une couche d'harissa, à la demande, une ou deux portions de fromage étalés avec le plat du couteau, du thon par-dessus, on referme le petit pain, enveloppé en un tourne-main et au suivant. Les clients appellent ces « casse-croûteurs » par leurs prénoms, plaisanteries sur l'arbitrage le lundi matin, quelques provocations amicales entre supporters de clubs, et la bonhomie des gens simples et heureux.....

Des oeufs mollets mais « arabes »
Juste un couffin, entre ses jambes, avec deux gros sachets de plastique noir. A sa droite, posé sur le pas de la porte où il est assis, à portée de main, une fiole contenant un mélange de sel, de poivre, et un autre condiment, du curcuma peut-être, ou une mixture de différentes herbes, que je n'ai pas reconnu au goût. Il a ses clients, il sait exactement combien d'œufs chacun gobe ainsi de bon matin, « deux en moyenne », Un seul coup pour étêter l'oeuf, une giclette de son mélange, sans demander l'avis du client, et il vous tend l'oeuf, le blanc tout tremblotant, mollet à point. Il faut faire le mouvement qui convient pour envoyer l'ensemble au fond de la bouche, d'un seul coup, cela ne peut pas se siroter comme un verre de thé. Hop !!Et c'est avalé. La moindre fausse manœuvre et vous avez un tableau type Picasso sur votre chemise.
A la forme de la coquille, à sa couleur, et au volume de la chose, c'est sans conteste un oeuf dit "arabe", qualificatif qu'on colle ainsi à tout ce qui n'est pas "industriel", du moins qui n'est pas une production mécanisée. Il en va ainsi du pain, du beurre, de certains fromages. L'extension du même qualificatif au travail, à la parole donnée, au téléphone, à la notion de l'heure et à la ponctualité, est un héritage du colonialisme, bien intégré et utilisé, mais d'une connotation plus que péjorative...
Dès qu'un de ses clients quotidiens apparaît au coin de la rue, il plonge la main dans le sac à œufs, et se prépare au service. Peu de mots échangés. C'est un taciturne en bleu de chauffe. On voit le poids de la vie et de l'expérience ....Une accalmie après l'ouverture des bureaux. Vient ensuite le tour des boutiquiers, ou de leurs employés de toute cette rue Malta Sghira, spécialisés dans la quincaillerie et les meubles d'usine. Vers dix heures, il se lève, va déposer les sachets pleins de coquilles vides dans une benne à ordures, fait le tour de la place de la Monnaie, traverse la Place Zouaoui, et s'enfonce rue des Salines, pleine à ras bord d'étalages où on trouve de tout, un peu l'appendice de la rue de la Commission. Il s'arrête pas loin, sur la droite, dans une ruelle perpendiculaire, près de ce spécialiste en citronnade et en croquants maison. La journée est terminée pour lui.

Le marchand de bsissa liquide
Rue des Salines justement. Là campe chaque matin un artisan bien particulier : lui aussi utilise ces sortes de triporteurs bricolés, capables d'être en même temps un véhicule pour transporter toute sa marchandise, et à l'arrêt, cela devient un support idéal pour l'exposition et la vente de son produit. Un bidon à lait, en alu, bien propre, un autre ustensile à côté, des verres, un seau pour les laver, une louche. Une pancarte, une ardoise en fait, avec écrit à la craie : 250 millimes le verre de bsissa diluée dans de l'eau, 250 millimes le verre de fénugrec, de la trigonelle, et 250 millimes le verre mixte. Un lieu de rencontre où on voit peu de jeunes. Des phrases qui fusent, à haute voix pour faire l'apologie de ces breuvages, les bienfaits de l'un ou l'autre sur telle partie du corps, sur l'apport énergétique des céréales, sur l'amélioration du transit intestinal, la purification du sang, etc.
Et chacun de raconter sa petite histoire sur l'association de telle herbe avec tel condiment, selon la région d'où il vient. Le vendeur, en commerçant averti, enregistre tout cela, encourage l'échange entre clients : une pub plus que gratuite pour son petit commerce. Quand on sait ce que le bouche à oreille peut faire comme réputation...
A quelques mètres, angle rue de l'Algérien, un compère qui propose, lui, des figues de Barbarie peu communes, y compris ces fameux « coqs » ( sardouk), malformation d'un fruit qui s'est intégré dans la raquette du cactus au lieu d'en occuper l'extrémité. Il faut montrer patte blanche pour en avoir. Et il n'est pas là par hasard : les connaisseurs savent bien les conséquences bénéfiques pour la santé de l'association de ce fruit avec toutes ces céréales. Les végétariens et les tenants de la nourriture bio n'ont absolument rien inventé.
Un autre vendeur de mixture de fenugrec, est lui, chaque matin à l'entrée de la rue Sidi El Béchir, pas loin d'un célèbre marchand de lablabi, là des étalages de fruits squattent tous les espaces réservés normalement aux piétons. Une très belle jarre émaillée, marron clair, une louche en aluminium, et une voix porteuse pour appeler les clients. Là aussi, un vendeur de figues de Barbarie est à proximité.

Vendeur de thé
Lui n'a pas de présence constante. Il s'installe deux ou trois fois par semaine à l'angle de la rue de Suisse et de la rue de Hollande, lieu de passages très importants. Un matériel extrêmement simple et léger : un tout petit canoun sur lequel est fixé, au fil de fer, une théière qui a bien fait son temps, un tout petit seau et deux ou trois verres dits « tripolitains », ces minuscules verres de cinq centimètres de hauteur, bons pour le thé noir, épais, sirupeux, sucré, trop sucré même. C'est ce qu'il propose. Plus loin, dans un carton, un ou deux thermos, invisibles pour le passant, où il garde le thé chaud.
Sa clientèle ?? Les usagers des trains, des bus, des métros, qui viennent de la grande banlieue, d'origine campagnarde, et qui ont pour habitude de boire ainsi un ou deux verres de thé de cette qualité, « pour se réveiller » reconnaissent-ils. Des accrocs. Le café, même très fort, ne leur fait aucun effet.
Dans le coin, beaucoup de chantiers de restauration d'immeubles sont en cours. Il en fait le tour. Il a comme un sixième sens pour les débusquer, se renseigner sur la durée des travaux et passer ainsi une ou deux fois par jour fournir les ouvriers en thé bien noir, bien fort, bien comme il faut.

Et les mouchoirs en papier aussi
Elle est là tous les matin, un lieu de passage important : Rue de Yougoslavie, à proximité de l'Ambassade de France, face au siège d'une imposante banque de la place. Tous ceux qui débarquent de la gare, du terminus du métro ou de la gare routière de la Place de Barcelone, empruntent ce goulot qu'est devenue la rue de Hollande et bifurquent pour se disperser dans la ville. Pratiquement tous passent à proximité du lieu stratégique où elle a placé un carton renversé sur lequel s'amoncellent quelques petits paquets de papiers mouchoirs et des chwingums.
Une dame d'un âge moyen, que la vie a maltraitée certainement. Une façon très discrète et très digne de se faire aider : très peu de gens attendent leur monnaie. Ils laissent ainsi une sorte d'aumône. C'est aussi sur le chemin du marché central. De bonnes âmes déposent à ses pieds des petits sachets avec du pain, des fruits, des légumes.
Tous ces petits métiers, si utiles pour bons nombres de gens, qui refusent de manger fast-food, ou qui veulent croire qu'ils retrouvent ainsi des goûts et des saveurs qu'on ne vend nulle part ailleurs, ni dans les supermarchés, ni dans les croissanteries à la mode. Ramadan arrive, nous ne les verrons plus pendant un bon mois. Ils se recycleront dans un autre domaine pendant cette période certainement. Nous vérifierons.


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