Par Dr Moncef GUEN(*) Il est paradoxal que cinq mois après l'adoption de la loi de finances complémentaire, les investissements publics importants, qui ont été prévus dans cette loi, ne sont exécutés qu'à un rythme très lent. Notre pays passe par une période économique difficile caractérisée par une croissance anémique, un chômage très élevé, une inflation rapide, des réserves de change au plus bas et un déficit important de nos transactions extérieures. La conjoncture mondiale n'est pas favorable avec un recul de la croissance en Amérique et dans les pays émergents comme la Chine et l'Inde et une récession dans notre principal partenaire qu'est l'Europe frappée par la crise aigüe et interminable de l'euro. En outre, les régions de l'hinterland, qui ont longtemps souffert de la marginalisation et du dénouement, continuent à avoir le même sort et ne voient que peu de réalisations tangibles pouvant donner une lueur d'espoir aux jeunes sans emploi. Et ce, après les réunions tenues par les ministres avec les représentants et les citoyens de ces régions pour discuter et approuver des projets nouveaux de développement. La déception est compréhensible. Sans parler des coupures d'eau et d'électricité qui ajoutent encore davantage à ces sentiments de frustration des populations. Il est urgent pour notre gouvernement d'appliquer dans les faits la politique qu'il a définie à juste titre dans son projet de budget rectificatif pour répondre dans les meilleurs délais aux attentes légitimes des populations, surtout dans les régions jusqu'ici laissées pour compte. La stratégie du gouvernement consistant à prévoir des investissements publics importants, y compris des investissements pour le développement régional et l'habitat social, ouvrir des consultations dans toutes les régions pour discuter et approuver des programmes de développement a été la bonne. Il fallait aussi outrepasser les circuits habituels de préparation et d'approbation des dossiers d'appels d'offres pour gagner du temps. Mais on a buté contre la lenteur pesante de l'administration. Il fallait s'y attendre. Les grands projets, qui ont un effet multiplicateur sur toutes les autres activités, en particulier les bâtiments et travaux publics, les matériaux de construction, le transport, l'énergie, l'agriculture, l'artisanat, sont disséminés dans différents départements ministériels dont la coordination est extrêmement difficile. Cela va du ministère de l'équipement à celui de l'Agriculture, à celui de l'Education à celui de la Santé... sans parler de l'intervention nécessaire des ministères verticaux du Plan, de l'Investissement et des Finances. La chaîne est trop longue. C'est pourquoi nous n'avons que des fractions mineures de réalisation des projets inscrits dans le budget rectificatif. Seule une direction générale des grands travaux, installée au sein du Premier ministère, aurait pu assurer cette coordination rapide et la réalisation dans les délais des projets qu'attendent avec impatience les régions, surtout celles déshéritées qui ont longtemps attendu. Une telle direction se concentrera sur la réalisation des projets au-delà d'un certain seuil tel que 200.000 ou 300.000 dinars. Elle devra disposer des meilleurs cadres de l'administration et pourra engager des bureaux de contrôle pour surveiller l'exécution des projets dans les délais. Elle devra être dotée du pouvoir de mise en exécution par voie de justice des expropriations nécessaires pour utilité publique. De nombreux pays ont été amenés à adopter une telle solution pour hâter leur développement et couper court aux circuits administratifs habituels trop lourds et même entachés de corruption possible. Un pays comme la Côte-d'Ivoire, qui vient de sortir d'une guerre intérieure ruineuse, a pu réaliser un taux de croissance de 8%, grâce en grande partie à une telle institution qui lui a permis de mettre en exécution rapide ses grands projets. Nous autres, plus d'un an et demi après la Révolution, nous avons connu la récession et l'inflation en 2011 et un début de croissance et l'inflation en 2012. Lançons une telle institution le plus tôt possible pour une meilleure gestion de nos projets d'investissement public. Faut-il rappeler ici que l'investissement public est le seul levier pour le moment qui puisse dynamiser l'activité économique dans les circonstances actuelles de la Tunisie et de son environnement international ? L'investissement privé n'en sera que plus encouragé surtout si une réforme fiscale allège le poids fiscal et parafiscal qui pèse sur lui et une révision appropriée des incitations est adoptée. * (Ancien haut fonctionnaire du FMI)