Par Moncef GUEN L'inflation, généralement définie comme la hausse des prix à la consommation, a été un phénomène presque permanent en Tunisie au cours des dernières décennies. Elle traduit la perte du pouvoir d'achat du dinar, matérialisée par une augmentation générale et durable des prix. Plus récemment, l'inflation, telle que mesurée par la variation de l'indice des prix à la consommation (IPC), s'est élevée à 4% en 2010, 3,5% en 2011 et 5,4% en février 2012. Ces chiffres paraissent si faibles au grand public qui souffre depuis de longs mois d'une hausse vertigineuse des prix, particulièrement des prix des produits alimentaires, qu'ils mettent beaucoup d'ombre sur la crédibilité de l'Institut national des statistiques. Ou le panier de la ménagère devrait être révisé ou la pondération des biens compris dans l'indice est surannée ou les relevés sont faussement conduits. Le fait est là : ces chiffres ajoutent l'injure à la blessure pour les masses des travailleurs qui voient leur pouvoir d'achat broyé de jour en jour et les masses des sans-emploi qui sont, de plus en plus, dans le dénuement accentué. Cette situation est dramatique. Si, au moins, cette inflation galopante s'accompagnait d'une croissance économique rapide comme c'est le cas en Chine ou en Inde ou d'autres pays émergents. En Tunisie, elle se conjugue avec une récession de presque 2% en 2011, récession qui persiste en 2012. La nouvelle loi de finances tablerait sur une croissance de 3,5% en 2012. Il faut espérer que ce chiffre ne sera pas un mirage. Avec une conjoncture européenne pour le moins morose (l'Union européenne, qui est notre principal partenaire économique, est elle-même en quasi-récession) un secteur touristique en mauvaise posture, les inondations et le climat général des affaires, les chances d'une sortie de récession sont extrêmement minimes. Il faut beaucoup d'investissements publics et privés pour engager une reprise timide. Ces investissements, on ne les voit pas venir. La nouvelle loi de finances, si elle s'exécute bien, pourrait créer une dynamique mais le premier trimestre est déjà passé par pertes et profits. On se trouve donc dans un indice de misère élevé, une combinaison d'inflation et de chômage délétère qui risque d'être durable si des mesures courageuses et rapides ne sont pas prises. Le gouvernement actuel semble prendre conscience de cette situation intenable. D'abord, il engage une campagne de contrôle des prix avec l'espoir que les agents, qui profitent du gap entre l'offre et la demande pour augmenter outre mesure leurs prix, soient contrôlés. Or, la répression de l'inflation agit sur les effets et non les causes de l'augmentation des prix. Si les causes ne sont pas atténuées ou supprimées, le contrôle des prix aboutit à des marchés parallèles, autrement dit au marché noir. La Tunisie est passée par cette expérience dans les années soixante. Les causes profondes sont à rechercher dans les politiques budgétaire et monétaire suivies jusqu'ici. Le gouvernement précédent, qui a duré presqu'une année, a pratiqué une politique expansionniste aboutissant à un déficit budgétaire important. Malheureusement, une telle politique a été en faveur des dépenses courantes, notamment les salaires de la Fonction publique et non en faveur d'un programme de stimulus par l'investissement. Nous avons perdu presqu'une année sans injecter des investissements dans les infrastructures économiques et sociales, surtout dans les régions défavorisées de l'hinterland. La politique monétaire ne pouvait qu'être expansionniste au regard de la situation catastrophique des banques provoquée par l'ancien régime. La Banque centrale a baissé son taux directeur deux fois et a fourni des liquidités importantes au système bancaire. L'ajustement a été subi, comme toujours, par le dinar qui a continué sa chute par rapport au dollar américain et à l'euro. A son émission, le dinar tunisien était une monnaie forte : il valait plus de quatre fois le dollar américain. Regardez ce qu'il vaut maintenant: US $1 = TD 1,516. La chute du dinar, qui a été historique depuis les années soixante-dix, est, elle-même, cause d'inflation puisque la Tunisie importe des produits alimentaires, des matières premières, des produits énergétiques et des biens d'équipement à concurrence de plus de la moitié de son produit intérieur brut. Quant à la récession, elle ne peut être combattue que par des investissements de plus en plus substantiels. La loi de finances rectificative est un premier pas dans la bonne direction. L'accord désendettement/développement, conclu avec l'Allemagne, augure bien pour la conclusion d'accords similaires avec les principaux pays créanciers de la Tunisie, notamment la France et les Etats-Unis. Au lieu de payer des montants importants pour assurer le service de sa dette extérieure, la Tunisie consacrera ces montants à l'investissement. Il faut aussi compter sur les institutions financières internationales dont la Banque islamique, le Fonds arabe de développement et les fonds souverains des pays du Golfe. Une action, capable de promouvoir rapidement les régions déshéritées, devrait être la garantie d'un minimum de jours d'emploi par an pour tout demandeur d'emploi dans les zones rurales. Elle permettrait d'effectuer des travaux de développement rural et d'injecter des revenus dans ces régions, capables de stimuler les activités productives, d'augmenter l'offre, notamment des produits alimentaires et ainsi de mieux maîtriser l'inflation.