Rien à faire! Lorsque le public aime, il est présent. Et puis, il faut croire en la hiérarchie des goûts ! Avant-hier soir à Hammam-Lif, quelques quarts d'heure avant l'ouverture des portes du théâtre de plein air, il y avait déjà la foule... Elle patientait en regardant une performance de jeunes badigeonnés en peinture blanche, revêtant l'aspect de personnages primitifs... Une fois installé sur les gradins, le public du Trio Joubran a droit à un speach de bienvenue et à un semblant de bilan du festival qui, en cette soirée du 14 août, met un point final au programme de la session 2012. Emue et certainement fatiguée par un été très chaud de climat et d'évènements, Leïla Toubel, la directrice, remercie son équipe de jeunes bénévoles et le comité d'organisation pour avoir su gérer cette manifestation malgré tous les obstacles. Elle a même remercié «les ennemis» du festival qui ont tout fait pour que ce dernier n'ait pas lieu, en faisant de la mauvaise langue, en déchirant quotidiennement les affiches de promotion et en volant du matériel. Sans ses «meilleurs ennemis», l'équipe du festival de Boukornine composée de citoyens de la région, qui portent un projet culturel, n'aurait peut-être pas su que son combat valait réellement la peine. Toubel finit son discours en empruntant un poème de Mahmoud Derwich qui en dit long sur sa détermination et sur son amour inconditionnel de la patrie. Le trio Joubrane arrive enfin sur scène, accompagné par un percussionniste, Youssef Hbeich. Et, c'est parti pour un de ces spectacles inoubliables qui vous transportent et qui vous donnent des forces. Dieu soit loué! Qu'est-ce qu'on a besoin de silence pour laisser parler nos émotions! Il n'y a pas de meilleur modèle que les Joubrane! Ils sont «eux» quand les cordes de leurs luths se mettent à parler. Samir, Wissem et Adnane dialoguent en musique et Youssef en «rajoute» avec la batterie et les percussions. Ces dernières interviennent comme une virgule, comme un tiré ou comme des points de suspension. D'ailleurs, le concert est intitulé «A l'ombre des paroles» avec des moments de poésie, de feu Mahmoud Derwich en bande son. Jamais on n'a vu un mariage aussi beau entre luths et poèmes. C'est une affaire de rythme, et le rythme est à trouver, ce qui n'est pas toujours évident. Et puis, comment ne pas s'identifier à ces Palestiniens qui en ont gros sur le cœur depuis si longtemps? Comment ne pas donner du sens à ces vers prononcés par l'un des meilleurs poètes du monde arabe et qui disent qu'« il n'y a pas de temps pour demain», qui supplient l'homme d'«attendre» la femme, et qui nous rassurent que sur cette terre il y a de qui s'accrocher à la vie, ne serait-ce que l'odeur du pain à l'aube, le lever du soleil vu de prison, ou la peur bleue des tyrans face à la chanson... Un morceau titré «Chajen» de l'album «Majez» par là, un autre appelé «le ciel de Cordoue» de l'album «Asfar» par çi, et les cordes crient, chuchotent, murmurent et titillent... Ça fait mal, donc ça fait du bien... Le public fait à chaque fois une ovation! Mais lorsque les frères Joubrane se lèvent tout à tour, abandonnant leurs luths pour s'attaquer aux percussions, les spectateurs n'en peuvent plus de bonheur et d'admiration. Les Joubrane ne sont pas seulement des musiciens virtuoses, mais également des acteurs- metteurs en scène de leurs concerts. Notes et contre-notes bien dosées. Quelques interventions «verbales» de l'aîné des frères et des propos «engagés», mais ô combien «heureux» et dépourvus de tristesse! Pour finir, le trio joue «safar» ou «voyage», un morceau où il se plaît à improviser, laissant toujours de la place au silence. La synergie entre ces quatre musiciens a contaminé la salle dès la première note. Le festival de Boukornine finit en beauté. Les spectateurs repartent vers leur quotidien avec des CD des Joubrane et de Mahmoud Derwich, histoire de prolonger le plaisir...