Par Abdelhamid GMATI Il est une habitude, devenue rituelle pendant des décennies et qui a, semble-t-il, disparu avec la Révolution. Celle qui consistait à présenter des vœux à chaque fête (nationale ou religieuse), en chaque circonstance. Il ne s'agit pas bien sûr des civilités, politesses et bienséances qu'échangent les individus partout dans le monde, mais de marques d'allégeance, de flagornerie, d'opportunisme ou d'obligations. Les colonnes des journaux tunisiens étaient envahies par des messages de vœux adressés au chef de l'Etat, à son épouse, au gouvernement et en dernier lieu au peuple. Ils étaient payants et émanaient essentiellement de sociétés et autres organismes, publics et privés. Ces vœux étaient attendus, comptés et leurs auteurs portés sur une liste tenue à jour par un service de la présidence de la République. Gare à celui qui aurait oublié d'envoyer ses vœux. Les ministres aussi tenaient à leurs vœux et mettaient à jour leur propre liste. Là aussi, gare aux manquements. Depuis la Révolution, cette coutume a disparu, du moins à travers les journaux. Il serait malvenu, pour les concernés, d'afficher ses vœux publiquement. Mais l'être humain étant incorrigible, l'Histoire aimant à se répéter, et nos gouvernants n'étant pas particulièrement révolutionnaires, il serait de bon ton d'adresser des vœux à l'occasion de cet Aïd El Fitr. Sans flagornerie et pour précéder les événements (qui sait, cette habitude reviendra peut-être un jour prochain). Et comme pour la plupart des vœux, ceux-ci ont de fortes chances de n'être que des vœux pieux. - A tout seigneur, tout honneur. Commençons par Cheikh Rached Ghannouchi, officiellement président d'Ennahdha et véritable dirigeant de la Tunisie. Le Roi d'Arabie vient de proposer la création d'un centre de dialogue entre les différentes écoles de la pensée islamique, qui préserverait l'unité et renforcerait la solidarité de la «Oumma islamya» et dont le siège serait à Ryadh. Tous nos vœux pour que Cheikh Rached en soit le directeur (ou président) : cela comblerait ses profondes aspirations, puisqu'il ne cesse de prôner l'unité du monde musulman. Et il en a les capacités puisqu'il passe pour être une référence en matière religieuse, connaissant les bases et les fondements du wahabisme, les écrits et les dogmes de Abou Houraira, El Boukhari, etc. De plus, il pourrait aussi devenir président de l'Union mondiale des ulémas musulmans, dont il est déjà vice-président. - Notre président de la République multiplie les voyages à l'étranger et ne cesse de faire des propositions, histoire de bien marquer ses passages et ses présences. Il vient de demander une nouvelle fois (il l'avait déjà fait au mois de janvier dernier) à l'Arabie Saoudite d'extrader l'ex-président tunisien Ben Ali. Les autorités tunisiennes avaient fait la même demande plusieurs fois. Sans succès. Le vœu qu'on adresse à M. Moncef Marzouki est que le Royaume saoudien réponde favorablement à sa demande et renvoie Ben Ali en Tunisie. Ce serait sa première initiative couronnée de succès et lui vaudrait certainement de réaliser son rêve : prolonger son séjour au Palais de Carthage, même sans pouvoir ni prérogatives. - Notre Premier ministre est un monsieur sympa parce que rêveur. En attendant le 6e Califat qu'il a annoncé, il travaille beaucoup au point de nuire à sa santé. Il nous a assuré que tout va bien en Tunisie et que lui et son équipe ont réalisé beaucoup de choses. Le vœu qui s'impose et qui doit lui être adressé, c'est qu'il y ait beaucoup d'autres réalisations semblables aux précédentes, que nous en soyons informés en espérant qu'il a retrouvé son gouvernement dont il s'inquiétait il y a quelques semaines. - Un seul vœu pour M. Mustapha Ben Jaâfar, président de l'Assemblée constituante, qui affirme que tout est normal, la Constitution sera prête à la date convenue soit le 23 octobre 2012...ou «un peu plus tard», que les constituants travaillent d'arrache-pied et que tout se passe bien. Et alors que sa première vice-présidente touche plus de 10.000 dinars, et en devises, plus quelques autres avantages, lui ne bénéficie que de quelque 5.000 dinars. Souhaitons que ses émoluments égalent au moins ceux de sa première adjointe. - Quelques vœux pour les autres gouvernants. Pour Ennahdha, souhaitons que cette secte se transforme en parti politique digne de ce nom. Pour les deux autres partis de la Troïka, il serait temps qu'ils sauvent leurs âmes, leurs principes, leurs adhérents et aussi leurs électeurs. Pour les constituants, notre vœu est qu'ils se rappellent qu'ils ont été élus par le peuple pour une tâche précise et pour servir les intérêts du peuple et non ceux de leurs partis. Pour les partis d'opposition, souhaitons-leur d'apprendre à travailler ensemble sans mesquinerie, ni calculs partisans, pour le bien de la démocratie et du pays. Nos vœux les plus sincères et les plus profonds pour tous les Tunisiens pour qu'ils retrouvent au moins les libertés et les droits dont ils jouissaient jusqu'ici. En particulier ceux des femmes, des magistrats, des enseignants, des journalistes... Enfin, le principal vœu va au peuple tunisien pour qu'il sache être plus clairvoyant dans ses choix et apprenne à séparer le bon grain de l'ivraie, c'est-à-dire entre ceux qui veulent servir et ceux qui ne pensent qu'à se servir. Et espérons que ce vœu ne sera pas sans suite favorable. Aïd Mabrouk à tous.