Par Zouheir EL KADHI Les événements qu'a connus la Tunisie en 2011 ont fortement fragilisé l'économie. Cette situation a nécessité d'exceptionnels stimuli monétaires et budgétaires. Consciente de la fragilité de la situation, la Banque centrale de Tunisie (BCT) n'a pas ménagé ses efforts pour mettre en œuvre une politique monétaire expansionniste, voire même non orthodoxe afin de limiter les difficultés inhérentes à la transition. Elle a, en effet, joué un rôle très actif en injectant de la monnaie dans le système économique, en abaissant les taux de réserve obligatoire à 0% et les taux d'intérêt à plusieurs reprises. Aujourd'hui, malgré tous les stimuli, l'économie tunisienne se trouve encore au milieu du gué. Les perfusions monétaires n'ont pas donné les effets escomptés et de nombreux experts imputent à ces perfusions la responsabilité, du moins en partie, du dérapage de l'inflation avec tous les risques, sociaux et économiques, que cela comporte. De toute manière, et avec des taux d'intérêt réels en territoire négatif, la politique monétaire a, semble-t-il, épuisé ses marges de manœuvre. Ne pouvant aller jusqu'à rémunérer les emprunts, elle a tenté sans trop y croire d'accroître la liquidité de l'économie. Ainsi, face à une conjoncture difficile marquée par une inflation en forte hausse, la BCT doit faire face à un cruel dilemme : s'autoriser un peu d'inflation pour les bienfaits de la croissance et l'emploi ou bien chercher à limiter l'inflation au prix d'une reprise avortée. La semaine dernière, le Conseil d'administration de la BCT a pris la décision d'augmenter de 25 points de base le taux d'intérêt directeur, pour le porter à 3,75%. Eu égard aux tensions inflationnistes, cette décision semble raisonnable et logique. Toutefois, cette décision ne peut être justifiée par l'amélioration de quelques indicateurs. En effet, les quelques prémices de reprise ne semblent pas confirmer une solide reprise dans la mesure où des fragilités demeurent. Et l'analyse de la conjoncture a souvent montré que les faux départs sont aussi probables qu'une vraie reprise et les 3,5% de croissance prévus pour 2012 sont loin d'être acquis car dans l'équation de croissance demeurent beaucoup d'inconnues. Cependant, la décision de revenir à une politique monétaire restrictive, même si les taux d'intérêt réels demeurent encore en territoire négatif, risque d'exposer l'économie à une pénurie de crédit et à un processus de désendettement des ménages. Un tel processus serait bien sûr préjudiciable à l'expansion de la demande intérieure, notamment la consommation et l'investissement, et donc à la relance de la croissance, même si l'élasticité de l'investissement au taux d'intérêt est très faible. Les risques de liquidités sont bien réels, les banques à court de liquidité ne peuvent compter sur un niveau satisfaisant de recouvrement des crédits dans de nombreux secteurs qui connaissent des difficultés. Avec la hausse du coût des crédits, l'assèchement des liquidités pourrait durer quelques mois et les risques de «resserrement du crédit» peuvent devenir évidents si aucune mesure d'envergure n'est prise pour conforter le secteur bancaire. La BCT est d'ailleurs parfaitement consciente de ce risque puisqu'elle a encore augmenté en août ses injections de liquidités et elle souligne dans son communiqué un nécessaire suivi des facteurs de pression sur l'évolution de la liquidité. Si la liquidité venait à manquer, les conséquences sur l'économie et sur la relance seraient très néfastes. En effet, les déterminants de la demande intérieure ne joueraient pas le rôle espéré de relance économique. Crédit immobilier, crédit aux entreprises, crédit de consommation pourraient se raréfier pour des raisons multiples, dont l'aversion au risque, la recapitalisation des banques, le durcissement des contrôles de bilan et la prudence des emprunteurs. En définitive, il y a lieu de bien garder à l'esprit que les politiques de sortie de crise seront d'abord mises en œuvre sur le plan monétaire avant de l'être sur le plan budgétaire. Les politiques budgétaires actuelles sont en effet partiellement financées par les politiques monétaires. Et l'économie serait plus à même d'absorber un moindre soutien monétaire qu'un retrait du soutien budgétaire. Mais comment donc financer ce dernier par le premier ?