Cela fait un an que Si Mohammed nous a quittés. Commémorer cette date c'est rappeler l'apport de ce militant d'envergure de la libération nationale, du socialisme et de la démocratie. C'est aussi retenir le courage, comme pour toute une génération de patriotes, de ceux qui sont restés fidèles à leurs convictions, malgré la propagande de toute la machine de sape de type «guerre froide», qui a tout fait pour discréditer le rôle historique des communistes dans leur résistance au modèle de parti unique et leur entêtement à affirmer que l'indépendance c'est à la fois une question nationale et sociale et également de pluralisme et de liberté. L'ironie du bégaiement de l'Histoire a fait que, de la même manière avec laquelle le parti unique destourien distillait de l'anticommunisme primaire alors que lui-même se comportait comme un Pcus, le parti dominant d'aujourd'hui, en 2012, critique le RCD, alors qu'il met en place des dispositifs de parti unique, tout à fait similaires. Ce que je retiens personnellement de Mohammed Harmel comme enseignement majeur, au bout d'un bout de chemin commun d'une bonne quarantaine d'années, c'est le refus du sectarisme, ce mal ravageur qui nous ronge de l'intérieur. C'est ainsi que, bien que les communistes se soient historiquement positionnés comme étant parmi les premiers et parfois uniques véritables adversaires du courant destourien, avant que n'arrivent sur la scène tous les autres, ils n'ont jamais renié l'apport moderniste de ce courant ni contesté sa place centrale dans la lutte de libération nationale. Il en est de même du moment où sont apparus les premiers indices de revendication de démocratie de l'intérieur même du courant destourien. A ce moment Mohammed Harmel, en accord avec la majorité du collectif dirigeant, a appelé à accorder l'attention qu'il faut à ce phénomène inédit, alors que beaucoup de nos camarades de cette époque considéraient comme hérétique de soutenir le courant «libéral et bourgeois» au sein du Destour, contre la tendance «socialiste». Et il en a été ainsi à l'instant où commençait à s'esquisser l'idée d'un mouvement vers l'autonomie de l'Ugtt vis-à-vis du parti unique et d'une possible voie syndicale non bureaucratique; une nouvelle fois, Mohammed Harmel, en tant que dirigeant influent, a fortement contribué à la mise en œuvre de la stratégie d'alliance avec le «Achourisme», alors que d'autres tendances de gauche, dites «radicales», sont restées longtemps trop sceptiques vis-à-vis de ces évolutions. Et c'est encore avec la contribution spécifique de Harmel qu'une attitude non sectaire a été adoptée vis-à-vis du phénomène «islamiste» au moment de ses toutes premières «manifestations» dans les années soixante-dix, une attitude qui s'est maintenue longtemps après, pendant les années quatre-vingt du siècle dernier, avant que nous fassions le constat définitif et irrévocable concernant «le double langage et la duplicité du comportement», ce qui nous a amenés à prendre nos distances politiques vis-à-vis de ce courant, tout en refusant la répression qui s'abattait sur les islamistes. Lucidité, ouverture et esprit rassembleur ont été les voies du tajdid harmélien. Cela a été remarquablement concrétisé par la naissance de l'«Initiative progressiste et démocratique», une alliance d'un large éventail de forces du progrès et de la démocratie, celle qui a permis, entre autres, la présentation, en 2004, de la première candidature unitaire de Mohammed Ali Halouani à l'élection de la présidence de la République, contre Ben Ali, avec un écho national et international considérable, dont le moins insolite n'est pas la sympathique réplique favorable à Halouani d'un certain Jemal Debbouz au Théâtre municipal de Tunis, en pleine campagne électorale. Aujourd'hui, il nous manque terriblement un certain esprit Harmel, d'alliance et de compromis, dans la lucidité, avec seulement en vue l'unique intérêt national.