Serait-il possible, aujourd'hui, en cette étape transitoire, de compter sur notre système d'archivage pour dépouiller les vérités voilées des décennies durant? Qui a accès aux archives des ministères et des administrations publiques, où les dossiers de la corruption et de la malversation sont encore en suspens? Pourquoi n'arrive-t-on pas à mettre en vigueur le décret-loi promulgué au lendemain de la révolution portant droit d'accès à l'information auprès du grand public? Autant de questions à poser pour découvrir les tenants et les aboutissants des affaires des blessés et des martyrs, mais aussi pour mettre le doigt sur les maux et les plaies du passé qui ne cessent de saigner, alors que leurs auteurs courent toujours dans l'impunité totale. Dans ce contexte, comment faire et agir pour rendre justice aux personnes lésées ? D'où l'intérêt et la nécessité d'asseoir la justice transitionnelle, dans son acception la plus large. C'est ce que cherche à mettre en place le ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle. Dès le 14 avril dernier, ce ministère a lancé un dialogue national portant sur la justice transitionnelle auquel ont été conviées toutes les composantes de la société civile en Tunisie, et ce, à travers des forums et des discussions visant à éclairer le public et baliser le chemin à parcourir. Dans cette optique, l'Association tunisienne des gestionnaires des archives a organisé, hier à Tunis, une journée d'étude ayant pour thème «Rôle des archives dans la réalisation de la justice transitionnelle», en présence des archivistes et des professionnels du secteur. Les intervenants se sont penchés sur le système de catalogage et de stockage des documents et des fichiers dans l'administration tunisienne et son apport dans la découverte des vérités et l'incrimination des corrompus. Fouiller dans les annales de l'histoire d'un pays, où régnait la dictature depuis plus d'un demi-siècle n'est guère une mission facile. Cela exige, comme l'a affirmé M. Hedi Jallab, directeur général des Archives nationales, un véritable parcours du combattant, car effectuer des investigations et des enquêtes établissant les preuves argumentaires pour condamner ou acquitter qui que ce soit relève d'une lourde responsabilité. C'est pourquoi, a-t-il ajouté, la neutralité et la transparence administratives sont de mise dans le traitement des archives et leur conservation, du moment qu'elles jouent le rôle de témoins sur des faits et des pratiques classés dans le tiroir du passé. Ces documents pourraient être, aujourd'hui, la seule piste existante. Mme Asma Shiri Abidi, directrice générale aux services du conseiller juridique auprès du gouvernement, s'est arrêtée sur le programme du gouvernement au sujet de la transparence administrative. Sa communication s'est focalisée sur l'impératif d'exercer le droit d'accès à l'information et aux documents administratifs, dans le but d'asseoir les fondements de la justice transitionnelle. Par conséquent, il importe d'optimiser le décret-loi y afférent qui a été promulgué et amendé en mai 2011. En fait, la sauvegarde des archives publiques, leur exploitation à bon escient et leur mise à la disposition des bénéficiaires, tout en préservant, bien entendu, les données personnelles et la vie privée, feraient certainement partie des supports et documents nécessaires qui contribuent à la restitution des droits et la réalisation de la justice transitionnelle. C'est ce qu'a relevé Mme Mériem Houidi, du ministère de la Justice, lors de son intervention qui s'est articulée autour des axes fédérateurs, à savoir la définition de la justice transitionnelle, celle des archives et son apport dans le dédommagement et la restitution des droits requis, leur appui argumentaire dans la découverte de la vérité. Pour dire que la responsabilité est de taille dans la conservation de la mémoire collective. Cette journée se veut également une occasion pour présenter des recommandations visant à consacrer la neutralité de l'administration et éviter l'instrumentalisation des structures des archives. Elle a pour objectif de sensibiliser les professionnels du secteur quant à la nécessité de protéger les archives de tout risque de dégradation, de dommages ou de perte. Et pourtant, la quête de la vérité n'occulte pas autant de difficultés. Tel est le cas de la commission d'investigation sur les dépassements et abus, créée avant le 14 janvier 2011, dont le responsable est Taoufik Bouderbala. Bien qu'elle ait fait du chemin, cette commission a été confrontée à maints obstacles l'empêchant d'accéder aux archives nécessaires dans le traitement des dossiers des martyrs et blessés de la révolution. «Au cours de notre mission, nous avons été confrontés à des rapports balistiques incomplets, des informations administratives manquantes et à l'absence de preuves fondamentales pour vérification des faits et condamnation des auteurs», déclare M. Mohamed Chihaoui, membre représentant de ladite commission. Des difficultés et des blocages qui auraient fait perdre le droit des plaignants à une justice transitionnelle rapide et équitable.