Déblocage par l'ex-présidente d'un compte bloqué se montant à 1,2 MD; saccage du local placé sous scellés et vol de documents et de carnets de chèques; falsification des données portant sur le niveau des employés; non-paiement des employés de l'Unft depuis des mois... L'Etat ferme les yeux sur ces abus et le ministère public s'oppose à la dernière minute à la tenue du congrès extraordinaire de l'Unft Le congrès extraordinaire prévu par l'Instance transitoire indépendante, chargée de la gestion de l'Union nationale de la femme tunisienne (Unft) pour le 14 octobre 2012 aura effectivement lieu en dépit de la désapprobation surprenante du chargé du contentieux de l'Etat et des manœuvres malveillantes de certaines parties. Ce congrès tant attendu par les femmes tunisiennes comme par les militantes de la cause féminine serait, en effet, un tournant décisif et salvateur pour l'une des plus prestigieuses organisations féministes dans le monde arabe. Il permettrait enfin —et pour la première fois dans l'histoire de l'Unft— l'élection d'un bureau exécutif dans le cadre d'une totale transparence. La portée salvatrice de ce rendez-vous acquiert une importance vitale pour une institution qui, et jusqu'à la fin du mois d'août 2012, était en proie à la corruption. Il faut dire que la révolution n'a pas réussi à tirer l'Unft du circuit redoutable de la corruption financière et morale. Les responsables post-révolutionnaires de cette institution n'ont, dit-on, fait qu'enfoncer le clou de l'abus financier et perpétuer voire aggraver les pratiques louches au détriment du personnel et du budget propre à l'Unft. Pour dévoiler à l'opinion publique les dossiers de corruption condamnant lesdits responsables, le flou menaçant dans lequel se trouve l'Unft, l'Instance transitoire indépendante de gestion de cette institution ainsi que Me Saber Ben Romdhane, avocat de l'instance provisoire, ont tenu, hier, au siège de l'Unft un point de presse. Les dossiers révélés sont le moins que l'on puisse dire hallucinants. Ils prouvent, tant par des documents officiels et juridiques que par des supports audiovisuels, les abus financiers et administratifs effectués tant par Mme Khira Lagha, ex-présidente de l'Unft, que par Mme Mongia Zbidi, ex-présidente adjointe. Revenons un peu sur le contexte dans lequel ces personnes ont pu se positionner en tête de l'Unft. Après la démission de Mme Saloua Terzi, ex-présidente de l'Unft, Me Radhia Jerbi, assurant actuellment la présidence, a appelé à la gestion de cette institution par la compétence d'un administrateur judiciaire qui aura pour mission la conduite des affaires courantes et la préparation d'un congrès extraodinaire pour l'élection du bureau exécutif. «Les deux missions ont été quasiment accomplies: outre le comité central de l'Unft, une instance transitoire indépendante pour la gestion a vu le jour, chapeautée par Mme Zbidi. Entre-temps, les deux parties ont travaillé sur le projet du congrès extraordinaire. Du coup, le rôle de l'administrateur judiciaire est accompli. Ce dernier a donc été exempté depuis le mois de juin 2011», indique Me Ben Romdhane. Toutefois, et contrairement à ce qu'attendaient les membres de l'Unft, la gestion de cette institution a été détournée pour servir des intérêts personnels. Me Ben Romdhane indique que l'administration a été délestée de tous les documents. «Les dossiers que nous allons dévoiler nous ont été remis par des tierces personnes», précise l'avocat. Abus financiers : des sommes ahurissantes Après les tergiversations de Mme Lagha pour la fixation d'une date précise pour la tenue du congrès extraordinaire, le contrat de confiance entre la présidente de l'Unft et l'instance s'est peu à peu émoussé. Il a été carrément rompu suite au déblocage prémédité de Mme Lagha du compte bloqué de l'Unft se montant à 1,2 million de dinars. «Le président déchu a octroyé à l'Unft la somme d'un million de dinars pour le changement du local. Depuis la présidence de Mme Aziza Htira, cette somme a été placée dans un compte bloqué à la banque. Mme Lagha a débloqué cette somme et l'a placée dans un compte courant, favorable aux retraits. Jusqu'à nos jours, l'on ne sait pas dans quelles actions cette somme a été dépensée», explique Me Ben romdhane. Par ailleurs, l'avocat indique que Mme Lagha a reçu, il y a un an, une enveloppe de 750 mille dinars de la part d'un parti politique. Questionnée à ce sujet, elle avait répondu que la somme lui a été octroyée à titre personnel et non en tant que présidente de l'Unft! «Nous avons trouvé un document sous forme d'un tableau indiquant la répartition de cette somme sur les délégations régionales de l'Unft. Or, renchérit Me Ben Romdhane, la délégation de Nabeul, par exemple, est débitrice de plus de 64 mille dinars. Pourtant, la majorité des dépenses sont prises en charge par l'Etat». Compte tenu de cette situation financière désastreuse, il a été décidé de décharger Mme Lagha de sa fonction en tant que présidente de l'Unft, et ce, le 25 août 2012. Et malgré la présence d'un huissier de justice sur les lieux, Mme Lagha a refusé de se soumettre à cette décision. «Elle a mis cinq heures pour se décider enfin à quitter le siège», fait remarquer l'avocat. Et à la surprise générale, Mme Lagha a organisé le 1er septembre 2012, dans un hôtel de Tunis, un point de presse durant lequel elle a annoncé sa démission! L'huissier de justice en charge de l'affaire a décidé de placer le local sous scellés, et ce, du 25 au 29 août. Trois jours durant, les caméras infra-rouge, actives 24h/ 24 ont filmé le feuilleton du saccage, effectué par un groupe de personnes. Résultat: des dégâts matériels énormes, des carnets de chèques et des documents pillés. «Les caméras ont repéré bon nombre de personnes dont Mme Lagha et Mme Zbidi», souligne Me Ben Romdhane. Et d'ajouter que l'affaire est actuellement entre les mains de la justice. Corruption administrative : les bourses pour étudiantes démunies ont été détournées Le personnel de l'Unft a organisé hier, devant le Tribunal de première instance de Tunis , un sit-in pour crier justice et recommander aux parties concernées de lui accorder un droit absolu: le droit à la paie. En effet, depuis quelques mois, bon nombre d'employés et d'ouvriers relevant de l'Unft n'ont pas bénéficié de leurs salaires. Et malgré l'obtention d'une décision de justice ordonnant aux banques de permettre à l'Instance de retirer de l'argent pour payer le personnel, les institutions bancaires affichent réticence et passivité. «La STB a refusé de payer le personnel arguant qu'un document signé par Mme Zbidi interdit au chef de l'agence bancaire en question de payer les salaires des employés de l'Unft», indique Me Ben Romdhane. Par ailleurs, et selon la convention signée entre l'Unft et l'Ugtt, il a été décidé, depuis la révolution, de régulariser la situation du personnel de l'insitution selon des critères logiques et légaux. Or, certaines fiches de paie montrent qu'il a été procédé, sous la présidence de Mme Lagha à la falsification du niveau d'instruction du personnel. Me Ben Romdhane indique que des fiches de paie d'employés maîtrisards mentionnent un niveau bac et vice-versa! Autres abus: les dons et aides octroyés à l'Unft par des organisations et institutions étrangères ont été détournés. C'est le cas du don de l'ambassade de Chine qui a offert à l'Unft des équipements électroniques ainsi qu'une cinquantaine de couvertures dont on ignore le sort. «Mme Lagha a, par ailleurs, sollicité l'aide financière d'une ambassade étrangère pour subvenir à la paie du personnel. Elle a indiqué que l'Unft compte mille employés alors que le nombre du personnel et du bureau national et des bureaux régionaux ne dépasse pas 350 personnes», ajoute l'avocat. La corruption financière et administrative qui rongeait l'Unft post-révolutionnaire n'a pas épargné les bourses octroyées par cette institutions aux étudiantes démunies. En effet, nombreuses sont les étudiantes qui se sont déplacées au siège de l'Unft pour réclamer une bourse annuelle de l'ordre de 50 DT. Pourtant, des documents montrent que les bourses ont été attribuées à leurs bénéficiaires. Et l'Etat fait la sourde oreille... Ce qui est encore plus alarmant c'est que les parties officielles ferment toujours les yeux sur ces abus. Me Ben Romdhane indique que l'instance a déposé des demandes d'intervention auprès de différentes institutions comme le Premier ministère, le ministère des Affaires de la femme sans que ces démarches ne débouchent sur une solution ou suscitent l'intérêt des parties officielles. «Pourtant, il s'agit bel et bien d'un abus de l'argent public. C'est l'Etat qui finance l'Unft à concurrence de 90%. Logiquement, les parties officielles auraient dû s'inquiéter de la situation et recommander un rapport détaillé des dépenses ainsi qu'une expertise», ajoute l'avocat. Pis encore, le représentant du contentieux de l'Etat qui, des mois durant, incitait l'Instance transitoire indépendante chargée de la gestion de l'Unft à préparer le congrès extraordinaire et à élire , en toute transparence, un bureau executif, a changé de position à la dernière minute et a recommandé d'annuler ce rendez-vous décisif. L'administrateur judiciaire qui n'a pas donné signe de vie depuis juin 2011 s'est manifesté dernièrement pour dire que sa mission n'est pas finie! «Le congrès aura lieu à la date fixée. Cette décision est irrévocable. Nous avons travaillé dur là-dessus et nous tenons à sauver l'Unft de son état désastreux», affirme Mme Moufida Belghith, membre de l'Instance transitoire indépendante chargée de la gestion de l'Unft.